vendredi 17 mars 2017

Pause…- 5

C'est curieux l'amour. Aujourd'hui, j'ai oublié de penser à toi, c'est bien la première fois que cela m'arrive ou alors que je m'en rendrais compte qu'aujourd'hui ? Parfois, je suis bien aise que tu ne viennes pas quand j'ai envie de lézarder au soleil sur les galets ou à jouer au tarot avec les copains du Normandie. Pas que je n'aie pas envie de te voir, mais c'est ainsi. Pourquoi  ? Va savoir. Et pourtant, je n'aime que toi, ne pourrais vivre qu'avec toi. Seulement avec toi. 

Une pause...
Si encore, la cause en était une petite déprime, une grosse fatigue, à la rigueur la rencontre avec une femme intéressante, belle, désirable avec tout ce qu'il faut autour, je comprendrai. Mais non. Fatigué, certes, déprimé, jamais. Par ailleurs, avoir des privautés avec d'autres que toi en fermant les yeux sur ce petit quelque chose qui leur manquerait ou ne me conviendrait pas, impossible. Rien à faire car je sais, dès le départ qu'elles me plairont moins que toi, surtout qu'il y manquerait cet empressement touchant qui te pousse à te presser sur mon corps, ta façon de me regarder, de m'écouter, de ne pas me couper la parole, de sourire quand je te dis une bêtise, de devancer mes désirs, d'accompagner ma pensée et de me dévorer des yeux lorsque je te parle. Et de m'amuser. Et moi, tu sais que j'aime te parler jusqu'à apercevoir l'écho de ma voix dans ces yeux ravis d'amoureuse de son homme.
Tiens, quelle couleur ont tes yeux ? Attends, ne bouge pas... Noisette dorée, ça je sais.

Une pause...
La vie de célibataire que je mène pourrait me porter naturellement à des coups possibles. Encore, faudrait-il avoir le temps et la tête à cela, mais moi je sais que ça ne marcherait jamais, alors pourquoi commencer à me décevoir et à me rendre malheureux de t'avoir trompée ? Donc, je  constate que je te suis fidèle, non par amour mais seulement par cette certitude qu'il n'existe que toi pour moi avec ce bonheur que mon désir, qui lui serait plutôt porté à la gaudriole accepte de ne pas me pousser à bout. Je suis entré en amour comme en religion ravi par l'éblouissement du seul objet désirable qui tourne jusqu'à l'ivresse, toi et tous les autres dans l'ombre avec défense d'y toucher sous peine d'éteindre jusqu'au désir d'adoration. 

Une pause...
J'ai toujours aimé le jeu de la séduction sans forcément conclure, et sans frustration aucune. Moi, j'aime surtout plaire. Bruno dit que je suis inquiétant, que la morale, le catholicisme et tout et tout ça ma gâché... Il y voit une mauvaise constitution liée à mon enfance d'enfant de chœur. Je n'aurais jamais dû lui en parler. Va au bout, tire-le ton coup, ça t'éclairera le regard, mon bézot, c'est bon pour le moral. Possible, mais pas pour moi. Ma vie me va comme ça et on ne s'en porte pas plus mal en amoureux, tous les deux.

Une pause... 
T'oublier toute une journée et s'endormir dessus. Incroyable. Et pourtant. Sans compter que la difficulté de pouvoir te joindre tous les jours énerve mon âme et devrait me pousser à ne penser qu'à toi. Tiens, et si nous vivions ensemble, serait-ce toujours le paradis pour nous deux ou, un beau jour se réveillerait-on dans l'enfer de la solitude d'un couple désassorti, usé par la vie ? Excuse, mais on n'a pas encore essayé pour le savoir. Pas vrai ? Ça me fait peur, et c'est tant mieux d'en rester encore et toujours aux prémisses du gentil amour affolé par des riens.
J'aurai la délicatesse et l'intelligence de ne t'en point parler pour ne pas t'alarmer. Un seul qui s'inquiète suffit largement et, tant qu'on s'aime tendrement, doucement que veut de plus le peuple ? Rien.
 

Une pause...
Comme j'en suis encore aux confidences que je ne te ferai jamais, je te suis plus qu'attaché sexuellement. Vaut mieux pas que tu le saches, ça te choquerait. Oui, j'aime d'abord ton corps, une drogue dure dont je suis bien trop souvent en manque. Ton absence, ça c'est une malédiction et il me vient parfois l'idée de cavaler sans aucun remord, en toute discrétion, ni vu ni connu tant je me sens triste les soirées sans toi, seulement je sais pertinemment que je serais déçu au matin à devoir trouver dans mes draps une belle inconnue, ou une moche, c'est selon que j'aurais tirée négligemment pour ne pas m'endormir seul. Accro, oui, mais à une seule drogue. Et j'aurais peur de Tibère, lui si attaché à ton odeur et au parfum de tes foulards et qui s'y roule dedans. Je n'aimerais pas qu'il te fuie ensuite. Tu comprendrais. En plus, faudrait que je lave tout, quand rien ne sèche tant la région est humide, que j'aère alors qu'il fait froid par chez-nous, ajoute l'odeur de l'intruse sur ma couche et dans toute la maison.
Et puis, j'aime trop ton parfum de femme amoureuse. 

Une pause...
Ma belle, tu le sais qu'il en est de ces choses à ne jamais expliquer car elles sont injustifiables et risqueraient de changer nos regards. Et toutes ces questions comme : et pourquoi tu m'as fais ça à moi, toi qui dis n'aimer que moi, et surtout baiser un tel tromblon. Faut pas être bien dans sa tête. Tu me déçois ! Non mais, tu t'es vu ? Tu ne vas pas bien... Mais, non juste un égarement passager, tu pourrais comprendre, et il faisait froid ce samedi soir, tout était sombre, même moi, non, je n'excuse rien, je constate. Une connerie, je sais, oui mais elle est belle et n'en sois pas jalouse, elle ne compte pas, c'était juste un coup de déprime, je crois ou de saveur, peut-être, mais en passant. Oui, je peux comprendre que tu ne comprends pas car il n'y a rien à comprendre. 
Mais toi, pourquoi me délaisses-tu autant ? Qui est-ce qui prends des risques inconsidérées à m'abandonner ainsi ? Je ne te demande pas si tu fais chambre à part avec ton mari ou s'il prend du plaisir avec ton corps. Ne me dis pas non. Je ne veux savoir, moi.  Mais non, ne pleure pas, ce n'est pas de ta faute... ni de la mienne. Arrête, tu vas me faire chialer, et viens dans mes bras. Là, là, tout doux.
Bien des pourquoi à effacer dans sa tête autrement la vie serait trop dure. C'est mieux de ne pas chercher à comprendre, l'amour n'y résisterait pas.

Pause... 
Au fait, j’ai assisté à un culte de Pâques célébré par le pasteur, une femme. Curieux, quand même, une femme. Je ne connaissais pas les protestants même si je les entendais chanter le dimanche matin quand j'habitais rue de la Barre. Seul un mur nous séparait. Pour une fois que je traînais vers mon ancien appartement. Par curiosité je suis entré, juste pour voir mais j'y suis resté. A la sortie, un type s'est présenté. J'étais du midi et lui a une maison de famille dans le coin, à ce qu’il m’a dit. Je crois que tu connais. Un magistrat chez qui j’avais réparé une petite fuite et que je n'avais pas reconnu sur le moment est venu me saluer à la sortie pour me souhaiter la bienvenue dans l’église. Sympa, il a fait l’éloge de mon travail auprès des autres. De la bonne publicité pour mon patron. Mais, on n'en a pas besoin, on a trop de boulot.
Dimanche prochain, on m’a conseillé le culte à Luneray. Vous verrez, le temple est splendide. Je prendrai la fourgonnette. Je peux en disposer à volonté. Paraîtrait que, là-bas c’est un fief protestant depuis très longtemps. Mais tu connaîs. Des tisserands de lin, je crois. Tu me diras. 
Je n’ai pas participé à la communion qu’ils prenaient dans de petits gobelets en plastique, quand tu penses que les vieux ont encore peur d'attraper la mort. A leur âge, l'hépatite ne peut en aucun cas les tuer et, pour sûr qu'ils mourront d'une autre maladie incurable, la vieillesse par exemple. Un matinée intéressants.

Une pause…
Mardi 9 avril. 20h45. Hier soir, dans mon lit j’ai écrit cette curiosité : « Se cacher pour pouvoir s’aimer, le pourra-t-on longtemps ? »
Et toi, comment peux-tu vivre cette situation en te montrant si heureuse ?

Une pause…
23 heures 07. Excuse, mais demain j’aurais une dure journée. Pas le temps de trop écrire le soir. On est à la bourre partout. Et toute les semaine. Sans nul répit. On ne sait plus où donner de la tête avec le patron. Débordés par les urgences qui nous mangent le temps et les clients qui tiquent quand on leur présente la facture. Toujours trop cher, mais quand tu vois le temps qu’on passe à des réparations qui semblent faciles pour les clients et qui coûtent en temps, et puis faut bien compter le déplacement, le dérangement, le matériel et les autres clients qu'on fait attendre. Toujours pas contents… On vous attend depuis longtemps, qu’ils nous sortent. Va leur expliquer que tous attendent, qu’on n’a que deux bras chacun, Bruno et moi. A la fin, tu as envie de les envoyer bouler, mais tu ne peux pas.

Une pause…
Samedi 13. Permanence. Depuis ce matin, une grosse fuite dans un appartement en ville. Des dégâts importants. Les petits vieux ont mis trop de temps à fermer l’arrivée d’eau, pourtant le patron leur a bien expliqué au téléphone que je passerai l'après-midi. Une soudure à l’étain qui avait lâché. Faudrait que je leur rappelle qu'ils sont en compte avec la maison depuis plus d'un an pour un siphon changé. Il vont te proposer un calva de ferme, du bon, t'endormir pour ne pas te régler. Ressors-leur la facture ancienne et exige qu'il paient d'avance la réparation. Difficile. J'ai appelé Bruno. Les vieux n'ont pas encore reçu leur pension trimestrielle. Pas mon problème. Démerde-toi pour te faire payer. Avant. Expliquer un quart d'heure devant un café et un calva que mon patron paye mon salaire, que s'ils ne règlent leurs factures, je pointerai au chômage, pas évident. Mais c'est qu'on ne pourra qu'en début de mois. J'expliquerai à Bruno qui va m'engueuler. Après, 5 minutes à purger le circuit, quelques instants à braser, deux heures à les aider à éponger, assécher l’appartement, ranger les meubles, à évaluer les dégâts, et voilà le travail. Les voisins du dessous ont donné un coup de main.

Une pause.
Ce dimanche, 10h30 temple de Luneray. Une grande bâtisse de pierres et de briques couverte d’ardoises et posée dans square. Sans les arcs-boutants, les grandes fenêtres et un curieux petit clocher, genre pigeonnier surmonté d’une croix, on aurait dit une grange. L'intérieur ressemble plus à une église catholique d'antan avec ses bancs inconfortables, un orgue et un harmonium, une simple table pour autel et, face à l'entrée, une chaire en bois.
On se lève comme chez nous, pour chanter et pour la bénédiction. La lecture de la bible et le prêche, c’est pareil. J’y ai encore rencontré des clients à la sortie. On ne savait pas que j’étais protestant, moi non plus, alors je n’ai pas voulu les détromper.
Après mon tiercé et un demi, je suis rentré à la maison et, je ne sais pas où il pouvait bien se trouver, mais Tibère est arrivé comme une flèche dans mes jambes pour entrer le premier. Ça lui a fait plaisir que je me baisse pour le caresser.
En fermant la porte, je t’ai retrouvée et j’ai souri à ton portrait. Allez, un peu de fromage, du pain du vin pour communier tranquille, et au lit.

Une pause…
15 avril 1985. Déjà 23 heures, télé éteinte. Je t’aime, je triche et je mens pour t’aimer tranquillement. Mais, je ne m’aime pas comme ça. Et ça fait un long moment que je ne t’ai pas vue. Tu nous manques, surtout à Tibère. Moi ? J'y suis accoutumé, et pourtant, je suis heureux même si tu es si absente, et demain c’est ton anniversaire, mais viendras-tu le fêter ? 39 ans déjà. On se fait vieux.

Une pause…
Faudra que je pense à te demander quand sera la journée du maire. Je poserai un jour de congé.

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