samedi 2 novembre 2013

L'épervier malheureux* !


Chaque jour, accoutumés à nous réunir  de 16 à 18 heures à la sortie du pont de Pont-d’Hérault (côté commune de Sumène) pour discuter, blaguer, parloter, papoter en regardant passer voitures, camions et autocars, saluant les chauffeurs de connaissance, disons, à disputer de  rien et de tout, mais surtout dégustant ces petits potins qui enrichissent grandement la vie, sans médisance aucune, croyez moi...
-Que pensez-vous du Prince qui nous gouverne ?
-A part d’amuser la galerie, il fait quoi ?… c’est l’Europe qui décide.
-Et nos otages. On a payé, pas payé ?
-On s’en fout, du moment qu’ils sont revenus. Quand même, sont salauds de les avoir gardés 3 ans. Si on faisait pareil avec les émigrés. Imagine, la France serait au ban des Nations.
-Vous avez lu l’Epervier de Maheux ? Et Marcel, l’ami Marcel qui passait nous visiter ce jour, et que tous appellent tonton nous raconte :
-Tu connais Jean Carrière ? Tu l’as vu ? Moi, oui. Ce que je vais vous raconter est véridique. Du vécu.
-Tu pourrais me l’écrire pour le blog ?Non ?... Ta femme ?
-Oh, elle préfère plutôt surtout lire, dit Marcel.
Et Marcel qui raconte, et moi votre serviteur qui reprends son histoire à ma façon. Hé, hé !

Donc, un jour, dans les années 1970, vers les une heure de l'après-midi ou plus tard, nous mangions en famille, ma sœur, son mari, deux autres beaux-frères, et mes parents. Etait-ce un dimanche ? En été ? Peu importe, mais nous partagions un de ces repas de notre jeunesse où tu sais que tu ne peux pas être plus heureux. Moi, je ne bois qu’un peu de vin. Ma sœur et son mari, s’abstiennent d’alcool. Pour les deux autres, eh bien, ce sont des français moyens, contrairement à nous, quoi !
Tout ça pour vous dire que je sais de quoi je parle, n’étant pas aviné. Mon histoire est de source sûre.

Voilà ! A un moment, on entend au loin des coups d’avertisseur sonore sur un mode répétitif, lancinant. Et personne n’y prête attention. On se dit : encore de jeunes emmerdeurs à la gare. Cela faisait comme cela :
-Tu-tu-tu-tu-tuuuu ! Un silence, puis les cinq coups de klaxon reprenaient, re-silence, et rebelote.

Mon beau-frère, Officier de la Royale (la Marine française) tend l’oreille, s’ébroue brusquement :
-Dites donc. Mais, c’est un appel de détresse. Faut-y aller. Allez, fissa. Je prends le 4X4.
-Comment tu sais cela ?
-Je n’ai pas compris votre manœuvre. Voilà ce que cela signifie… C’est utile pour les évitements de bateaux.
Nous voilà donc sortis de table, tous les quatre, courant au son.

-C’est par ici ? Non ! Regarde, en bas, une voiture sur le toit !
Effectivement, une GS Citroën avait sauté le parapet et plongé lentement, à ce qu’il semblait, d’environ deux mètres dans le pré, en contrebas de la route. J’observe que le conducteur reste coincé, tête en bas, et que son bras sort de la portière et bouge. De plus près, je remarque que la GS est une 16 soupapes, un petit bolide. A première vue la voiture est foutue, le pavillon étant enfoncé. Mon beau-frère, l’officier, dirige les secours :
-Ca va, Monsieur ? Rien de cassé ?
-Merci bien, messieurs. Tout va très bien. Mais je n’arrive pas à détacher ma ceinture.
-Mince, alors ! Il a mis une voiture sur le dos, foutue, et tout va bien. Il a de l’humour ce type, je me dis !

-Le contact est-il coupé ? Oui ? Bien. Nous allons bercer de plus en plus fort la voiture pour la remettre sur ses roues, d’accord ? Cramponnez-vous ! Et une, et deux, et trois…
A trois, la manœuvre commandée par mon beau-frère réussit, la voiture se remet sur ses roues. Une fois stabilisée, nous ouvrons la portière et aidons le conducteur qui n’arrivait toujours pas à se défaire de sa ceinture de sécurité.
-Eh bien, dites donc, messieurs, quelle histoire. A dormir debout. Je me présente : Jean CARRIERE, écrivain.
-J’ai lu votre livre, « L’Epervier Malheureux ». Beau livre, lui dit, pince sans rire, le beau-frère.
-« … de Maheux », Monsieur. Quoique, maheux… une contraction de malheureux. Bravo, Monsieur !

Consternés, nous constations que le grand écrivain ne tenait pas debout sur ses cannes. Etait-ce dû à l’accident, au choc émotionnel ? Un des beaux-frères me dit, discrètement :
-Mais, il est fin bourré, ce type. Comment peut-il conduire, ainsi ?
Faut savoir que le papa à l’Epervier était pété comme un coin. Cela se voyait comme le nez sur la figure. Torché, quoi. Saoul comme un polonais et un russe réunis. Les français aussi se soulent ? Ah, en êtes-vous sûrs ? Si vous dites que les français comme des polonais, des russes  et des américains réunis... Exact ? Ben, faut faire bonne figure pour respecter le drapeau. Et le vignoble. N’est-il pas ?

L’écrivain, songeur devant sa voiture, devait se demander comment, et par quel miracle, il avait pu parvenir jusques à nous sans encombres avant le Pont-d’Hérault. 
-Oui, Messieurs, quel apéro d’anthologie pour un repas républicain à Valleraugue. Et très officiel, avec plein de pastis tassés. Non, Messieurs. Pas de pastis pour moi. Que du Whisky. Merci bien ! Mais non, je ne suis pas resté pour le repas, et évidemment que Monsieur le maire m’avait déconseillé de prendre le volant mais, comme je lui disais, ma voiture se conduit toute seule lorsque je suis gris. Disons que j’ai légèrement dépassé la dose, mais on m’avait bien sanglé à mon siège, alors… et que vogue la galère. Les dégâts de la voiture ? Sans importance...

-Eh bien, Messieurs, nous sommes vivant, constatez-le ! Sain et sauf, c’est ce qui compte, et Dieu merci !
-Effectivement, Monsieur Carrière. Et vous n’avez tué personne sur la route, ce qui est aimable de votre part. Mais, dites moi, pourquoi avoir utilisé les 5 appels brefs, et pas le SOS, plus simple ?
-Je ne savais plus si c’était trois brèves, trois longues, trois brèves, ou l’inverse. Et comme j’ai un canot automobile (il prononçait Canote, à l’ancienne mode snob), comprenez !
-Monsieur Carrière, moi non plus, je n’ai pas compris votre manœuvre. Suffisait de rester sur la route !

Vous avais-je dit, qu’être Officier supérieur dans la Royale n’empêchait pas l’humour, non ? Ah, bon ! 
-Messieurs, si vous pouviez me porter à Aulas. Je vous en serai reconnaissant et vous défrayerai.
Porter était bien le mot idoine. Continuons…
Jean Carrière devait rencontrer un l’élu local-national. 

Arrivés à Aulas (à 13km), après avoir tourné dans le village, le Monsieur s’est rappelé que l’élu soignait, aux Trois-Ponts, son anglais par des cours particuliers avancés. Donc, on emporte notre paquet dépressif en direction d’Arre.
-Mais, cher ami, que t’arrive-t-il ? (Toujours aussi laconique, Monsieur l’élu national-local). Nous expliquons à notre hôte le « que t’arrive-t-il » de son copain Jean.
-Messieurs, entrez. Vous prendrez bien un verre.
Et, pour remettre de ses émotions notre bon écrivain, mauvais conducteur, mais chauffard quelque peu, le Député, en rigolant lui dit:
-Assied-toi, Jean. Reste tranquille. Je vais te remettre. 
Et, pour ce faire, il lui servit deux Whisky bien tassés, on-the-rocks.
Mais, le remède n’a pas semblé très efficace car notre rescapé était toujours dans un état de choc et de grande détresse, tout blanc, assis prostré sur le canapé.

-Gilles, il n’y a pas de moralité à cette histoire. Ah, si. Le défraiement, je l’attends toujours. Tu me diras que Jean Carrière est mort depuis. La preuve ? L’école laïque du Vigan porte son nom.
-Mauvaise pioche, Oncle Marcel. Par exemple, la piscine du Vigan porte le nom d’une personne qui n’est toujours pas décédée. Ah, tu vois qu’il ne faut pas généraliser !

Du Pont de Pont-d’Hérault (1/4 de commune, côté Sumène), le 02/11 de l’An de Grâce 2013. Cette histoire est rigoureusement authentique. Marcel le jure sur l’honneur. Et je crois tonton Marcel.

PS: Cinq appels signifieraient MD en morse. D'après mon beau-frère.

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