vendredi 16 mai 2014

Enterrez, enterrez*...


... il en restera toujours quelque chose ! 

Savez-vous que, de deux histoires, la plus difficile à raconter est toujours véridique ? Aussi, personne de son vivant, même torturé, ne peut dire la vérité. 

-Je roulais tranquillement en descendant l’Aigoual… Non, pas vers le Vigan ni sur Valleraugue, oui, vers Saint Sauveur de Pourcils, ou Camprieu, si tu préfères et donc, tu ne me croiras pas…
-Mon gars, va au fait. Je n’aime pas les gens qui vous font mourir d’ennui par leurs digressions inutiles.

-Et donc ?
-Et donc, dans le dernier virage avant d’arriver à la fin de la forêt, deux sangliers traversent la route. Je freine et, paf !
-Tu percutes un sanglier !
-Non… contrôle de gendarmerie.
-En descente. Parce que c’est en descente, je connais bien. Et caché, dans un endroit retiré, dangereux, nos pandores. Tu te moques de moi ? Des sangliers et des gendarmes, ce n’est pas trop pour toi ? A 40km de leur base, et loin des castagnes !
-Mais je te jure que c’est vrai ! Tu n’auras qu’à leur demander, si tu ne me crois pas !
-Aux sangliers ? C’est c’la, c’est c’la ! Tu as trop bu à la santé  de Maximilien, à son enterrement. 

Et pourtant c’était vrai, et les sangliers, un gros et un maigre, et un couple de gendarmes, un gros...
-... et un maigre. Ben, voyons ! Laurel et Hardy. Deux sangliers. Bravo ! 

M’étant tellement attardé à pleurer mon triste sort, tout comme ma sœurette Liliane qui n’aime que la mort, je préfère voir la vie en sa drôlerie et son côté bon vivant.
-Tu sais qu’Armando est décédé ? Le pauvre, oui, hier ! Tu ne l’a pas su ?
-Espérons qu’ils vont bien l’enterrer. S'il pensait, avant, de bien rendre l’argent  qu’il devait à la mère, cela l’honorerait. D'accord, sœurette ?
-Tu n’as pas de coeur. A ton enterrement, personne ne te pleurera et tu feras rire ton monde. Tu seras bien puni.
-Holà, Liliane, arrête de chialer sur ce mauvais créancier de maman que tu ne connaissais pas. 

Vous aimez être cru ? Alors tant pis pour nous si vos histoires font pleurer dans les chaumières. On dira de vous que vous attristez le monde et attirez le malheur à force d’en parler. Vous ne serez plus invité. Mon conseil ? Essayez la dérision.
Mais, le must du must* serait de sortir une histoire drôle, tordante, en se faisant une belle tête d’enterrement. Pendant un mariage ou un baptême, tiens. A se taper sur les cuisses.
*Ndlr : expression idiomatique que les anglishes nous envient. On ne sait pourquoi ! 

Tout est vrai et vivant, surtout dans les enterrements, sauf le mort, d’évidence et, les plus belles histoires, même inventées, se dégustent dans les caveaux comme le bon vin même si, parfois, il convient d'habiller ces petites nouvelles de façon décente, comme les morts, en les revisitant car, racontées brut de décoffrage, sans tact, elles vous auraient ennuyé et c’est grand dommage que le mort ne puisse en rire, avec vous.
Comme l'exemple glissé dans la hotte de Père Noël le 25 décembre 2012, cadeau en forme d’ortolans pour un menu de fête est histoire vraie qui me rappelle la disparition de Marc-André… pardon, André*. Certains me diraient :
-Extraordinaire ! Et cet humour ! Vous feriez tordre de rire un mort.
*Appelle-le comme tu veux, le Marc. Il est bien mort et enterré ! 

L’humour ne vient qu’après les plus belles peurs de la vie, quant tout vous échappe et pour ne pas mourir du chagrin de l’inconsistance du quotidien et des ornières de la vie, alors qu’on aurait voulu aller plus vite que la musique.
Pourtant, de leurs yeux, nos mères* nous avaient promis une vie moins étriquée, une femme moins acariâtre, un patron plus généreux, des collègues moins égoïstes, des gosses plus affectueux et notre si belle voisine bien plus accueillante…
Qui dit que nous sommes égoïstes et voyez comme nous partageons tout dans notre vie, de nos mères à la voisine ! Tout se partage sauf la mort qui nous est si personnelle. Confondant, n’est-ce pas ? Philosophique, oui.  

L’inconscient enjolive la vie d'humeur moins chagrine par l'utile travail de mémoire… que dis-je : l’indispensable travail.
Voyez que ce n’est qu’aujourd’hui que j'entrevois l'angle que j’aurais dû prendre plus tôt en racontant mes histoires. Ainsi, ma vie aurait été plus belle et je n’aurais pas marché les yeux dans mes chaussures pour éviter de tomber dans ces précipices qui n’étaient, tout compte fait, que de petits nids de poule, le tout en raccompagnant mes connaissances à leur dernière demeure. 

Je n’aimais pas côtoyer les morts en leurs enterrements pour demeurer bien en vie… Oh, si on pouvait se prémunir de la mort, depuis qu'on s'immole pour côtoyer les dieux. 

Je vis tout en rêvant éveillé. Tiens, la dernière fois, je pilotais un Corsaire F4U dans le Pacifique en patrouille de deux avec mon pote Jaff. Mais si, vous le connaissez, le Claudius (prononcez...). J’ai bien failli me vautrer en redonnant les gaz brutalement ce qui m'a fait racler le pont d’envol du porte-avions Air Sea Rescue de l'aile gauche. J’ai eu très chaud.
Moi ? Je n’ai pas le temps de rêver la nuit car il me faut dormir peu pour vivre plus. Suis-je anormal, Sigmund, moi qui ne peux vivre sans songerie poétique nécessaire à oublier l’inéluctable de toute vie. 
Brrr… Madame la Mort, je vous prie humblement de ne repasser qu’après avoir bien servi tous mes copains et amis. Et merci encore ! 

Ah, oui, que j’aime les enterrements, ces moments conviviaux. Ici, près de la tombe, vous y retrouvez de vieilles connaissances que vous aviez perdues de vue depuis plus de trente ans qui, oubliant les animosités, se saluent cordialement, heureux d’être vivant, le mort gisant-là, comme par un fait exprès pour vous faire apprécier encore plus la vie. Alors, disons une dernière fois grand merci au mort. 

En sa présence, plus de préséance. Tous égaux en humanité dans cet habit sombre des condoléances pour bien montrer que le mort, ayant terminé de vivre parmi nous, fait maintenant partie des vivants en éternité.
En ce jour, vous apprendrez des choses inouïes sur cet inconnu et sa véritable nature. Ainsi, le mort n’aura jamais été aussi présent, vivant ! Etrange sentiment de plénitude que la mort nous procure et plaisir de constater, lors de ces heureuses retrouvailles, que vous avez mieux vieilli que tous les autres… 

-Mince ! Tu as vu le Gilbert ? Et la gueule ravagée qu’il a. Pas croyable. Je ne l’aurais pas reconnu s’il ne m’avait dit son nom. Tu crois qu’il boit ? Il doit déprimer.
Et, le copain bon vivant, avec qui vous taillez à Gilbert un costume sur mesure, doit se dire :
-Pauvre Gilou, quel coup de vieux. Il ne doit pas se regarder souvent dans la glace !
Tout compte fait, mon enterrement vous fera plus de peine qu’à moi-même. Non ? Et ce n’est pas faute d’un manque de sensibilité de ma part, parce que je vous aime.
Et, s’il vous plaît, racontez des histoires sur moi, même fausses mais, je vous en conjure, qu’elles soient bien tournées. 

Oh, oui, que les enterrements restent toujours joyeux, surtout ceux des autres, plaise à Dieu qu’on y raconte plein d’histoires drôles sur le mort qui, heureusement, ne peut les entendre. Il risquerait  d’apprécier moyennement.
Et puis, l’église et le temple sont pleins à craquer. Merci, Monsieur le Mort pour la religion.

La composition de René BOUSCHET : Je n'allais quand même pas rater les européennes.
R.I.P... Retour. Imminent. Patience. 

 

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