vendredi 29 juillet 2016

Du foot et des villages - 1


Voici l’histoire que nous offre Bernard qui s’étonne que Gilou n’en ait pas encore fait la relation. Elle se déroulait durant les années 60 à « l’Age d’Or » de la bonneterie et de la pomme qui ne cachait en fait que le lent déclin de ce petit pays cévenol. Ni la construction du nouveau collège-lycée, ni l’implantation d'établissements d'enfants à caractère social ou la modernisation des maisons de retraite, ni le reboisement en nouvelles essences, rien ne pourra l’arrêter et, l'Armée du Salut qui s'implantait dans nos villages signifiait que l'industrialisation paupériserait inéluctablement la classe ouvrière cévenole malgré ce que nous chantaient nos grands manufacturiers.

Chez-nous, rappelez-vous, nul n'entrevoyait de solution pour stopper cette lente et sourde récession, alors ne resta plus que notre espérance placée dans le football en locomotive pour tracter toute l'économie et donner un souffle nouveau à la région

Que Gilou vérifie mon écrit, poursuit-il et se remémore ces années-là. Qu’il interroge autour de lui pour se convaincre qu'il ne peut laisser passer cette perle qu’il voudra arranger à sa sauce, pourvu que l’anonymat des participants et des lieux soit respecté.
Bernard ne demande qu’à être le co-auteur du texte final et, en tant que tel tient à le revoir pour corriger l’orthographe de Gilou qu’il trouve parfois déplorable. Dont acte.
Merci Bernard, je transmets votre perle, et acceptez que je vous embrasse affectueusement,
                                              vôtre Ménie.

Petit PS : Mon cher Bernard, en tant que correcteur, ne pensez-vous pas que vous deviendrez seul responsable de l'orthographe du texte ? C'est la vie : on ne peut penser à tout. 

***

Voilà de quoi il retourne et, avant que de planter le décor, donnons quelques clefs au lecteur pour qu’il ne se perde pas dans le récit.
Primo, l’histoire reçue nous amusa car je l’avais déjà raconté à Rolando, Pierrot et Américo et sa rédaction trainait dans ma bébête, mon ordinateur. Je dois avouer que la lettre de Bernard m'a fait comprendre que dans mon récit, il y manquait tout l'environnement, sa part sociale et économique qui entourait le football.

Ensuite, ce mardi 26 juillet 2016, j’en fis part à l’apéro à Edouard, ancien correspondant du journal local, Le Cévenol libéré, un des joueurs de l’époque qui confirma le récit et y ajouta des remarques opportunes dont celle qu’étant malade, s'il fut un des acteurs de la tractation en coulisse entre dirigeants, il ne joua pas la partie.

Découvrons notre Petit Poucet, le bourg de Saint-Pargoire l’Ancien réputé pour la beauté de ses paysages sauvages, son rocher aux longues strates couchées aux deux tons de gris le revêtant de sa haute haute cape, ses usines textiles de nylon pas encore sur le déclin, ses magnaneries d'élevage des vers soie déjà à l’abandon et son cours d’eau se perdant dès la sortie du village après avoir creusé dans ses calcaires pour s’enfouir et qui, lors des grandes crues d’automne réapparait toujours en torrent pour ravager tout l’aval sur son passage.

Et voici, en splendeur toute son partenaire de jeu, l’ennemi préféré de St Pargoire, ma petite ville de Castagne-le-Pont avec ses nombreuses filatures de nylon encore florissantes, mais pas pour longtemps, ses anciennes magnaneries vidées de tous cocons, son corso fleuri, son foirail sur le déclin rapport aux lois sur l’abattage du bétail devenues plus draconiennes, ses deux foires réputées de septembre et qui coule des jours tranquilles le long de sa rivière paisible qui, tout en arrosant les pommeraies de sa vallée n’offre plus aujourd’hui au pêcheur sa truite arc-en ciel et sa fario, ses écrevisses autochtones et la façon de les préparer au feu de bois.

Ce qui réunit les deux cités tint longtemps à la culture du ver à soie, leurs innombrables magnaneries alimentant de grandes usines faisant la richesse du pays. A l’Age d’Or de la bonneterie, le frugal cévenol se mit à consommer plus de viande, les boucheries et charcuteries proliférant dans le pays et on croyait encore que les jeunes préféraient rester au pays avec un emploi sûr et lucratif plutôt que de poursuivre des études pour s’en aller en ville chercher, fonctionnaires leur bonheur loin de chez-eux mais la réalité était tout autre : les villages se vidaient de leurs jeunes.

La région négligeant la carte du tourisme s’appauvrit si lentement que les populations ne s’en rendirent pas compte et, dès 1968 en même temps que les aides de l’état pour la soie se tarissaient, le nylon en remplacement se montra incapable de sauver l’économie du pays.

Ajoutez aux malheurs de l’emploi local nos ouvrières du textile qui découvrirent que leurs jambes nues bien épilées et teintes, un trait de pinceau plus sombre pour dessiner une couture à l’arrière du mollet appris par leurs mères aux temps des restrictions pouvait remplacer les bas. Plus simple, l’amélioration des conditions de vie dégageait la jambe pour mieux la bronzer aussi pouvait-on se passer fort bien de tout ornement.
Et c’est pourquoi, les bas-couture noirs exceptés, l’ouvrière fit le malheur de tous ainsi que celui de son compagnon ouvrier lui aussi du textile.
Même la CGT ne comprit rien à ses adhérentes. Et puis, les femmes pouvaient-elles imaginer que la survie des métiers à tisser des grands manufacturiers de bas, ces pourvoyeurs de leurs emplois comme de la richesse du pays dépendait qu'elles fissent le sacrifice de porter les bas qu'elle tissaient ? Mais, de la pédagogie des syndicats pour se faire entendre, il n'est point ici question quoique ce que femme veut, ne dit-on pas que Dieu le veut ? Ah, voyez que notre malheur ne dépendait que du Ciel et nul ne pourra tenir rigueur aux ouvrières de la perte des emplois et de la récession !

Et pourtant, on s’était modernisé en passant des lents métiers en ligne aux machines italiennes plus performantes. On s'attacha au panty et on créa toutes formes de bas mi-longs ou de chaussettes et on finit même à rendre la culotte plus séante en abusant follement de colorants toxiques au grand dam des truites et des écrevisses indigènes mais rien n’y fit si ce n’est que la rivière se pollua encore plus. A la fin, les machines à tisser italiennes se turent définitivement dans le temps que les municipalités subventionnaient toujours plus les deux clubs de foot. Pour la seule gloire de leurs villages. 

En parlant de la renommée, nous pouvons révéler, sans nuire à la suite du récit que, même s’il ne s’agissait que de la finale de la Coupe Gard-Lozère, les deux bourgs irréductibles finirent par s’entendre sur le terrain ce qui fut une avancée mais, si l'une d'elles gagna la Coupe, le football perdit quelque peu sa candeur, si ce n'est son âme.

Les clubs de foot adoubés hommes-liges par leurs villages ne pouvaient tricher dans ces joutes rugueuses et chevaleresques. On avait osé attenter à l'honneur de tous, alors la région versa dans la déprime générale.

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