samedi 2 juillet 2016

Un tout petit village


Il s’appelait Lefort. Qui n’a jamais ressenti cette impression de connaître des gens depuis leur plus tendre enfance alors que plus de trente ans vous séparent ce qui était notre cas, pour mon ami disparu dans ses 80 ans, cet homme solitaire que tout le village détestait parce qu’il évitait le monde ne fréquentant qu’une poignée d’amis, tous étrangers au pays de Caux.

- Magloire-Lefort ? Un type formidable ? Alors ce n’est pas celui que vous cherchez, non. Mais un Malgoire tout court à la ferme des Lefort, je  connais. Faites attention à son chien, aussi amitieux que lui !   
Mais, si ce Lefort était le Malgoire que vous chercheriez, il semblerait que le vieux n’a pas toute sa tête, certains estimant qu’il est plus que frappé. S’il dit bonjour en passant à l’épicerie ? Pour ça oui, Monsieur on ne peut pas dire. Mais pas plus, en entrant et en en sortant, pas un malpoli, mais presque. Au bistrot, Monsieur, mais le voir au bistrot ? Toujours bien habillé, pour ça oui, on ne peut pas dire, Monsieur, mais se mélanger à l’apéro avec des paysans, vous n’y pensez pas, Monsieur ! Moi, je crois qu’il se cache à la ferme des Lefort, et pourquoi pas ? Mais, allez savoir.
Notre villageois avait envie de taper une bavette avec un étranger, ce jour, pour ça oui, Monsieur.

Dans notre petit village, une pièce rapportée qui évite de causer n’est qu’un malappris. Pour d’autres encore, les plus médisants et les imbéciles finis, toujours les mêmes, dans ce petit terroir aux mille sorciers sa réputation de malséant portant le mauvais œil n’était plus à faire, la preuve les vaches de son métayer dépérissent. Voila pourquoi tous s’évitaient, Malgoire les villageois, les villageois Malgoire.

Pourtant, c’était mal connaître le bonhomme et, lorsqu’il mourut après une longue maladie on découvrit que cet homme, le plus exquis des hommes ne se consolait pas d’un deuil douloureux. Voilà pourquoi il vivait reclus.
- Nous sommes des moins que rien pour lui, et Monsieur fait son fier. Qu’il en crève de son enflure ! Le village se prononçait définitivement en toute charité.

Sitôt dit, et comme si elle avait humé les relents qui s’échappaient de toutes les cheminées du village, la Mort rappela à elle cette enflure pour l’en débarrasser.
Incroyable que la mort puisse un jour prendre plaisir à contenter son monde !
A présent que le père Malgoire à peine refroidi continuait à emmerder tout son monde en prenant la place d’un natif, les capacités du petit cimetière en limite de rupture, il intéresse bougrement tout le village, et comme il ne peut plus faire de mal, nous redonnerons son nom à mon ami qui connut une vie bien remplie aux ex-colonies comme fonctionnaire d’autorité et qui, on ne peut en douter aura été aimé, au moins par une personne comme tout homme en a le droit.

A son enterrement, nous fûmes tous surpris, non pas de voir arriver un cartel de militaires en tenue, le préfet et le sous-préfet en délégation, même le maire du village de son écharpe tricolore ceint, non. Ce qui choqua tout le village fut un groupe d’une cinquantaine de gens de couleur qui remplit la petite nef de l’église du village pour suivre ensuite le cortège comme si tous faisaient partie de la famille, les femmes en pleurs, les enfants remuants, normal, les hommes avec le sourire comme s’ils accompagnaient un ami en promenade.

- Merde, alors. Et c’est quoi toute cette smala de noirs ! L’Afrique en Normandie, ou quoi ? On n’est plus chez-nous !
Ce petit bon mot mis à part, tous tinrent à accompagner le mort à sa dernière demeure, tant on s’ennuie à mourir dans nos petits villages, un peu d’animation, de vie ne faisant de mal à personne. Et tant pis si c’est pour un enterrement, une bonne occasion de se fréquenter et un sérieux  motif de boire un coup à la santé du mort, évènement trop rare qui, à chaque fois satisfaisait le patron du bistrot du village.

Après la messe, l’église étant comble, le curé en profitant pour faire durer l’office par un long serment sur la vie éternelle, et patin et couffin, le préfet fit un laïus en toute simplicité pour dire son amitié, son respect ainsi que les liens qui l’unissaient au défunt. Il fut sous ses ordres à l’armée, même. Par la suite, de son vivant Ernest Magloire se révéla un grand administrateur des Services de Santé en Afrique, maintes fois décoré. Puis, il poursuivit :
- A la mort de sa femme, Clara personne ne put le retenir alors qu’il était pressenti pour devenir conseiller au Ministère de la Santé de Côte d’Ivoire. Monsieur X…. Le Ministre, sachant les liens qui nous unissaient me demanda d’intervenir. Peine perdue.
- Non, disait mon ami Ernest, le ressort s’est brisé. Sans Clara, à quoi bon ?

On apprit qu’Ernest, de son vrai nom Magloire-Lefort fut un orphelin parisien confié aux  Lefort, de bons paysans normands qui l’adoptèrent. Peu connaissent de son histoire. Par discrétion, il interdit au notaire de faire référence aux liens qui l’unissaient à ses parents adoptifs ni de dire qu’il s’en était bien occupé jusqu’à leur mort.

- S’il rompit toute vie sociale dans votre village, on doit le mettre sur le compte du décès de sa femme, nous en discutions encore ce jour avec Monsieur Léandre de B., votre Maire mais, sachez qu’il s’investit totalement, et jusqu’à sa fin en faveur d’orphelins de la Côte d’Ivoire, ce pays qu’il affectionnait particulièrement, Clara étant ivoirienne d’origine.
A tous ses amis africains ici présents, je tiens à adresser mes condoléances, et j’ai voulu dire à tous ma peine.

Incroyable pour les villageois présents qu’un Préfet puisse pleurer un ami. Ca ne se peut pas. Non, mais ! Après l’enterrement, et comme toujours, nos hommes s’en retournèrent au bistrot du village pour bien montrer qu’ils revenaient à la vie en niant l’idée même du trépas, un petit coup derrière le gosier pour communier une dernière fois avec le mort.
Dès cet instant, l’emmerdeur devenait le pauvre Ernest, un bon gars qu’on réintégrait à la vie locale par son prénom et son nom pour l’évoquer avec tendresse et au présent de l’indicatif, comme s’il était toujours vivant, devenant ainsi un des meilleurs bourgeois du village. Et on entreprit de toujours bien en causer. Alors, il s’entendit, entre force petites Côtes du Rhône :

- Merde alors. L’Ernest, on le prenait pour un richard fier et emmerdant comme la pluie. Ben, dis donc le père Magloire, il nous en aura bouché un coin. Pas croyable !
- Malgoire-Lefort, un bon gars. Et son enterrement ! C’était beau. Je n’aurai pas fait le déplacement pour rien. Ouais ! Pour rien au monde je n’aurais aimé rater le discours du Préfet. Un bon gars, que ce gars-là, même que si le Préfet l’affirme, alors... Mais, tous ces noirs… Allez, patron, sert la tournée, et à ta santé Ernest. Et à la bonne nôtre. Et à la vie, crénom de nom !
- Et au prochain enterrement, fiston.
- Parle pas de malheur, hé papa ! Tu frôles les 80 berges.

Pensez-vous que le village réfléchit sur ses jugements hâtifs après cet enterrement et qu’on y fit son mea culpa ? Pas du tout, et pourquoi voulez-vous que la vie ne reprenne pas comme avant et comme il en sera toujours ainsi, la médisance ne servant qu’à mieux se sentir vivant comme il est de coutume après chaque enterrement car, sans les ragots, avec quoi pourrait-on bien animer notre village pour le rendre plus heureux ? Avec la télé le soir, chacun chez soi ? Surtout pas.
- Et si on jouait la tournée au Mata* ? lança Jeannot.

Le Mata : jeu de domino prisé en Normandie, à Dieppe tout au moins.

En remplacement d’un Ernest Magloire disparu, on se chercha quelques chiants comme la pluie. Et, en Normandie, ce n’est pas que la pluie soit pénible, quoique pour moins s’ennuyer dans le mauvais temps on se dépêcha de se trouver un nouveau malappris, et ce fut le père Peinard qui hérita de la charge d’Ernest laissée vacante, et pour cause.
Pour faire bonne mesure on baptisa ours malséants deux autres, le père François et Mon Père, le nouveau curé, seuls villageois adeptes de la Croix Bleue, plus trois malappris et leurs suppléants tout aussi malséants.

Enfin, on avait retrouvé matière à causer entre-nous. Et ça ne mangeait pas de pain. Tiens, ça tombe bien que les heureux élus ne soient pas au bistrot, ce jour. Pour tous les autres cons, les femmes exemptées de par leur nature, je ne vous dis pas leur nombre, ce qui fait beaucoup pour un petit hameau d’une centaine de feux. Beaucoup trop, quoique le village, ragaillardi ne s’en trouva pas plus mal de sa médisance, et si l’Ernest l’avait supporté sans mal, notre patron de bistrot en aura bien bénéficié, lui-aussi en comptant sa caisse le soir.

Mais, que nul ne dise haro sur la médisance et sur la mort : les deux peuvent bien profiter à beaucoup. Et si, en plus ça peut permettre de se parler, voyez quelles participent toutes deux à la convivialité dans nos petits villages de France et d’ailleurs.

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