lundi 24 février 2014

Mohand au courrier de Ménie*.


Tag d'étudiant palestinien sur le mur de la honte longeant
la route de l’université de Al-Quds dans le quartier Abu Dis

Nous recevons la lettre qui suit de Mohand B… 

« Chère Ménie, je vous écris pour vous parler d’un voyage fait, il me semble bien en 2003, après mes études de Droit, une sorte de pèlerinage à Bethléem sur la terre de mon père et pour connaître la famille de là-bas : oncles, tantes, cousins et cousines, tous très accueillants, joyeux. 

Même heureux ? Oui. Comme on peut l’être en prison, je crois, quand tout est sans issue. Mais, partout, on entendait :
- La Palestine ? Tu l’aimes ou tu la quittes, quand elle existera ou encore : 
-La Palestine change de frontière quand Israël change la sienne… Nous dansons un pas de deux. Israël croit conduire la mariée.
- Israël est en cessation de paiement. Pas nous, puisque nous n’existons pas. Merci, Israël !
- Notre pays est une entité sans réalité. C’est Utopia, un pays de rêve, quoi  ! Merci encore, Israël !   

Voyez comme les palestiniens ont de l’humour. Dans ma famille, ils disaient que leurs surveillants,  les israéliens, se donnaient un mal fou pour les contenir et que s’ils utilisaient toute cette énergie à autre chose, tous seraient riches. 

De plus, la Palestine serait le seul pays protégé et défendu par son ennemi. Incroyable, non ? 
- Le malheur qu’on te veut est parfois bon à prendre !
N’empêche que, même avec de l’humour, c’était très dur de vivre en Palestine, en ces années. Aujourd’hui, 11 ans plus tard, les choses sont plus difficiles, surtout à Bethléem, avec des colons devenus agressifs, les colonies en verrues et les impossibilités de circulation. Je l'ai constaté à mon séjour en 2013.

Mais, ce n’est pas tellement pour parler de la famille que je vous écris, Ménie. Depuis quelques temps, dans ma banlieue du 93, on a un problème avec des petits jeunes qui se laissent entraîner par plus tarés qu’eux pour aller au Jihad. Leurs parents ne savent plus quoi faire. 

Avant, c’étaient les grands qui partaient en croisade pour l’Afghanistan, et qu’on nous renvoyait du Pakistan. Aujourd’hui, dans la cité, ce sont « les bébés pour la Syrie » qui se font attraper en Turquie. Mais, on ne sait quel parti ils vont soutenir : de l’armée syrienne, des jihadistes exaltés anti-Bachar, ou des Révolutionnaires « modérés ». Et tous, plus musulmans les uns que les autres, mais aussi, tous plus les uns contre les autres. Comprenez-vous ce pastis ?

Mais, ce n’est pas tellement pour parler des petits jihadistes que je vous écris, Ménie, mais des années 2000. 
Voilà. A mon premier séjour en Palestine, et à la frontière israélienne, j’avais retrouvé un type qui s’appelle Arnaud K... Il est français comme moi. De souche, je crois. Surpris, je ne l'ai pas reconnu tout de suite au milieu de ces jeunes soldats. Nous devions bien avoir 37 ou 38 ans. Je lui dis : 

- Oh, Arnaud, qu’est-ce que tu fous ici avec ce Galil* et en tenue de Tsahal ?
*Galil, fusil appelé, je crois, « la pierre », soit pour rappeler la fronde de David contre Goliath, soit parce que les israéliens ont autant d’humour que les palestiniens ont de pierres !

C’était à un contrôle. Là-bas, en américano-hébreu, dites plus familièrement « un check-point », c’est mieux, plus tendance et fait un peu moins atteinte aux droits de l'Humanité. 
Arnaud, il était dans les MAGAV, ces garde-frontières à la solde de la Police Israëlienne, sur la frontière de "Cisjordanie", notre Palestine.

Moi, j’avais sorti  mes papiers français et je pouvais passer. Pas ma tante et sa fille, ma cousine qui nous accompagnait.
- Oh, Arnaud, c’est quoi ce bordel, je lui dis. On passe, on passe pas, on fait quoi, mon pote ?
- Tu sais, Mohand, on a des ordres. J’y suis pour rien.
Mais, qu’est-ce qu’il fout avec ces gros cons de militaires ! Il est français, comme moi !
- Oui. Mais, je suis aussi israélien. Je fais mon service militaire.
- Mon salaud, ce n’est pas possible ! Mais, tu sers dans les gardes-frontières, ces racailles.

Quand j’y repense, Arnaud faisait le Jihad des juifs, à l’époque, en 2003-2004, comme nos jeunes de banlieue, 11 ans plus tard.
- Dis, Arnaud mon pote, ne leur dis pas, aux palestiniens que tu emmerdes avec tes copains, que tu es français. Ils vont remercier la France, pour sûr. Merci bien !

Mon pote Arnaud n’a pas répondu, m’a planté là, est allé parler au chef de poste qui est venu, m’a serré la main et nous a laissé passer. C’était un français, lui aussi. Merde, alors, on n’avait pas besoin de ça ! 

A l'époque, Arnaud m'avait mis la honte d'être français dans ma banlieue du 93. Jusqu'à ce jour, je n'ai jamais voulu en parler.
Pour la petite histoire, sachez qu’Arnaud K. est avocat, ancien condisciple des Lycées Janson et Claude Bernard. Puis de la Fac de droit Assas, à l’époque de nos études. Très porté sur la Shoah… certains diraient féru ? Ah, bon !
Sachez aussi, qu’Arnaud est toujours mon pote et le parrain de mon aînée. Il en va ainsi de l’amitié. Même si on n'aime pas toujours ce qu'ils font de leur vie, les amis.

J’oubliais… A son retour en France, à l’issue de son "service militaire" israélien, Arnaud K. n’a pas été inquiété comme nos ados jihadistes, Jean-François et Rachid tentés par la Syrie (avec retour à l’envoyeur de la part de la Turquie). 
Ménie, j’aurais aimé voir le Parquet anti-terroriste mettre en examen mon Arnaud à son retour d’Israël.
Imaginez les journaux français criant à l’antisémitisme de la Justice française :
 - Dernière minute : le « terroriste » arrêté à Roissy  par la Police française aux frontières n’était qu’un jeune garde-frontière israélien (un MAGAV) de nationalité française. Bienvenue au pays, Arnaud K…! ».
Parce que, quand même,  l’armée israélienne n’est pas réputée pour ses cours de cuisine, de viennoiserie ou de boulangerie et qu’on y apprend de bien vilaines choses, comme chez les jihadistes. Choses dont mon copain Arnaud, studieux comme il est, a dû faire son profit !

Vous pouvez passer ma lettre dans le blog. Je signe et vous fais la photocopie de ma carte d’identité au cas où… et je vous embrasse.

Signé : Mohand B…
PS : Ménie, il n’y a pas à proprement parler de frontière palestino-israélienne pour des raisons que je vous laisse deviner. Non, non… ce n’est pas le vent qui les dérange.

Réponse de Ménie du 24 février 2014 :

 Cher Mohand. Que voulez-vous que je vous dise ? Même Gilles, ne veut pas polémiquer pour éviter tout dérapage antisémite de la moitié sémite arabe sur l’autre moitié sémite juive. Ou réciproquement ?
Cela ne veut rien dire ? Comme le racisme qui n’a ni queue ni tête.

(Ndlr ce 26 février 2014. 11h38: certains ont cru reconnaître un célèbre Arnaud K., avocat lui-aussi. Que tous se rassurent, ce n'est pas lui, enfin on espère).

Dernières nouvelles. Le mardi 25 février 2015, nouvelle lettre manuscrite de Mohand B... qui confirme qu'Arnaud Karsfeld n'est pas le parrain de son aînée, ni son copain. Et donc, il s'agirait dans son histoire d'un autre Arnaud K... Dont acte.

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