mercredi 12 août 2015

Un épisode cévenol - 3


Laroque, un village médiéval.
La visibilité se réduit. Il pleut à verse, à seaux, à torrents. A l'intérieur de la voiture, la buée sur le pare-brise gêne la conduite.

Au dehors, le déversoir n'en peut plus de déborder : c'est Aigue-folle, la cascade de Saint Julien de la Nef, le Niagara qui le remplissent sans discontinuer de masses d’eau effrayantes, comme si un barrage se brisait pour se déverser et se répandre sur cette fin du causse qui s'abaisse lentement vers la mer.

Nous ne sommes qu'à 10 Km après Montpellier, avec nos Cévennes perdues, visibilité réduite à quelques mètres. Depuis le début de l'orage, nous sommes suspendus, inquiets, à l'écoute du petit 750cm3 de la Panda qui ronronne toujours !

Seuls dans le gris sombre, nous avançons lentement sur cette route que nous connaissons bien. Le village de Saint Gély est dépassé. La visibilité se réduit encore de quelques mètres. Toujours aucun usager de la route pour nous rassurer, ni devant, ni derrière et aucune voiture croisée. Au col de la Cardonille, à 333 mètre* d’altitude, le déluge devient catastrophe et frappe plus durement nôtre petite Panda. 

Au sommet, la pluie cesse un court instant pour faire place à des bourrasques d'une violences à vouloir nous renverser, puis elle refait sa musique de cirque en accompagnement, remplacée parfois par le tambourin de la grêle devenue complètement folle.
*Je sais, je sais, 330 mètres. Mais pourquoi se priver de rajouter 3 mètres d’altitude ? C'est bien mieux, hein ? 

Nous sommes perdu dans le brouillard, toujours dans le cumulonimbus. Dois-je m'arrêter sur le bas côté, stopper le moteur ? Surtout pas, il risquerait de ne plus vouloir redémarrer. Mieux vaut continuer et avancer de village en village.
Maintenant, l’eau se fait partout, ici buée dans l'habitacle, là ruisseaux sur les bas côtés dans la montée et encore là cascades dans la descente avec une visibilité de plus en plus réduite, presque nulle.

On ne se parle plus, avec mon amie, non que l'on soit fâchés... Et puis, parler pour dire quoi ? Sa peur de tomber en rade ?  
Oui, la peur. Et sans compter que l'on ne s'entend plus dans ce vacarme  crescendo des eaux cognant la voiture, martelant la tôle, avec quelques coups de tonnerre déchirants et, en basse continue, le chuintement sourd de l’eau sous les roues, et puis, dans les grands ralentissements, la courroie d'alternateur qui, détendue par l'humidité se met à couiner. Tant qu'elle chante, elle rassure mais il faudra penser à la retendre avant qu'elle ne casse !

- Tiens regarde. Tu peux le croire ? Mais, c'est quoi ça ?... Le ça, dans la descente de la Cardonille est une apparition floue à travers la vitre, sur le côté droit de la route qui se dirige à pieds en direction de Montpeul. Mais, qui peut le croire ?
Ou le type était en retard pour s'abriter dans l'arche de Noé, ou il s'est fait surprendre par le déluge de cet l'épisode cévenol comme nous, mais lui, à pieds. 
Sûr qu'il va prendre la crève, le malheureux. 

- Il est con ou quoi, ce type. Un coup de foudre, et hop. Ad patres.
Un malade, un insensé sans doute sous l'averse, un fada trempé, saucé, dégoulinant, perdu dans le gris de la nuit, montant à pas rapides vers le col, à mi-côte, en direction de Montpellier. Le premier village qu'il rencontrera se situe à 6-7km. St Martin de Londres.
- C'était un barbu, non ? Peut-être, oui, sans doute... de 30 ans ?

On n’a pas idée d’être fou à cet âge, et au milieux de ces éclairs. Impressionnant. 
Pourtant, même en panne de voiture, on ne quitte pas son abri dans un épisode cévenol, ou on est un imbécile fini qui prend des risques avec sa vie. Sans compter les chutes de branches ou d'arbres et toutes autres projections. 
Sans vouloir en juger, nôtre religion était faite : ce qu’il pouvait bien fiche dehors par un temps pareil, s'il ne se faisait pas de souci, pourquoi devrions-nous en avoir pour lui ? Qu'il se débrouille, et basta. 
Pourtant, un reste d'humanité aurait pu faire que... 

... le demi-tour pour mettre à l'abri ce malade était possible. Manque de chance, ma voiture est une fourgonnette de seulement deux places et, respectueux de la loi, je ne peux y déroger. Oui, je sais que c’est mal car j’aurais pu le caser dans le coffre, et qu’un petit détour pour le mettre au sec aurait été charitable. Mais, vu sous un autre angle, il aurait complètement trempé mon duvet de secours. 

Espérons qu’il n’y aura pas eu mort d’homme ce soir-là et adjurons nôtre conscience de la boucler, n'est-ce pas ? 
-Paix, la garce, et que t’avais-je demandé ? Un avis circonstancié... sur mon humanité ? Pas un mot, je te prie ! 
Oui... Je sais : un salaud ! Je suis un beau salaud, croyez-le. 

Arrivés secs et saufs à Saint Bauzile le Putois, nous apprenons par les pompiers que la route de Ganges serait bloquée au motif que l’Hérault déborderait en inondant, comme à l’accoutumée le petit village « médiéval » de Laroque*. Il faut se résoudre soit à retourner sous nos pas et traverser l’Hérault sur le pont de St Bauzile pour ensuite grimper sur le Causse de la Selle, soit prendre par Montoulieu.
Prendre par le Pont de St Bau est une impossibilité par manque d’information car je ne dispose pas de radio dans mon petit équipage mobile, chose que je vous avais déjà signalée au deuxième épisode. Oui, Tout le monde suit bien ?

Ndlr : un village médiéval se pourrait-il être aussi de la Renaissance, et pourquoi ne pas l'indiquer aussi ? 

Qu’importe la radio et sortons de l’embouteillage rejoindre la D999. Il nous reste environ, 45km à se taper sous cet orage à tout casser, certes mais ma petite Fiat Panda, à qui rien ne fait peur grimpera vaillamment par Montoulieu, passera la Cadière, Ganges, Saint Julien de la Nef, Pont d’Hérault, le Rey et finira bien par arriver à le Vigan. 
Qui prend le pari que nous y arriverons ce soir, avant minuit ?  

Dès 19 heures, vous auriez pu le prendre, ce pari car, en cette fin d’après-midi je réalisais qu’il me faudrait apprendre la patience sans être malade, pour faire plaisir à ma chère, chère Patience de la salle d’attente du Professeur de médecine à 160 euro, la belle vilaine moulée dans son tailleur sexy gris souris. 
Tiens, tiens, un tailleur moulant dans la moiteur d’une formation d’épisode cévenol, il faut être dérangé, à moins que... et pourquoi crever de chaud à se trémousser si ce n'est en vue d'émoustiller avec ses petites fesses nôtre professeur, le seul parti intéressant et le seul en excellente santé à l'hôpital ? 
Eh, Patience, que tu es vilaine !  

Bon : grimper la petite côte de Saint Bau, facile même si des ruisseaux recouvrent la route en formant des mares. Nous atteignons, à vitesse réduite le plat de Montoulieu, haut lieu vinicole en ses fossés profonds, signes que les eaux en ces terres s’écoulent difficilement par temps d’orage. 
Comme nous avons remonté un peu, le nuage bas redevient brouillard. Tout est inondée avec, par endroits, plus de 30 cm d’eau sur la route et, sur le côté droit, à une centaine de mètres, une véritable rivière large, puissante, s’est formée en une sorte d’oued en crue : nous sommes rendus au Maroc. 
Impressionnant, inattendu, l’eau descendant de toutes parts, bousculant tout.  

A ce moment, je donne à ma passagère mon sentiment : nous sommes mal barrés dans nôtre frêle esquif, la petite « Panda » qui risquerait bien de caler à force de soulever des gerbes d’eau sous ses roues, et sans moteur nous serions perdus, naufragés de la route. 
Tiens, voila que je roule au ralenti. La voiture n’aime pas. Le moteur ratatouille et fait un bruit de mobylette débridée, avec son collecteur d’échappement fêlé. 

Tant bien que mal, et de plus en plus lentement, nous négocions les derniers virages couverts d’eau, grimpons encore puis abordons la descente de petites cascade vers le hameau de La Cadière. 
Ouf, sauvés, voila la Départementale 999 : enfin, nous pourrons continuer nôtre chemin. 

- Continuer ? Mais, vous n'y pensez pas ?
- Oh, que si, que j'y pense, Monsieur ! 

A suivre... 

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