samedi 15 août 2015

Un épisode cévenol - 4

Il pleut, il pleut, berbère !
Ci-contre: -Y' kwa à la télé ce soir?
-THALASSA, le magazine de la mer.
René BOUSCHET (R&B).
Continuer son voyage par ce temps? En prenant des risques? Pas question. Petit embouteillage. Des voyageurs hésitent au droit de La Cadière sur la D999 et viennent aux nouvelles.  La pluie a baissé d'intensité mais toujours pas moyen d'ouvrir un parapluie à cause du vent en rafales. Et puis, comme toujours on s'en est démuni.
Dans le croisement, en sécurité parce qu'en groupe, nous sommes pourtant impuissants, perdus, seuls en rase campagne, incapables de décider. Le temps d’être trempés, tous voudraient savoir : on passe, on passe pas ? Qui saura dire ? 

Les plus téméraires croient pouvoir poursuivre... Renseignements pris des pompiers, la départementale et tous chemins vicinaux sont impraticables avec torrents formés, éboulements et ponts submergés. Les routes ne sont plus carrossables et, dans la dépression qui ne lâche rien, l'orage reprend plus fort encore.

Et puis, patatras : ma cavale se cabre sous la pluie, refuse l’obstacle et cale des quatre fers, dans le croisement avec la 999. Pas moyen de repartir même sous la caresse et l'encouragement. Va-t'en trouver un su-sucre, une carotte... ou un bon bâton, à tout prendre. Désespérant.
En panne, moteur noyé, au milieu des pluies, le refuge de la salle municipale en vue, et quatre cents mètres à courir sous une pluie battante pour y accéder, c'est 400 de trop ! Alors, on attend dans la bagnole le bon vouloir de cette bonne vielle fille.

La pluie redouble de violence et tourbillonne dans les bourrasques. On a l'impression, dans la lumière des réverbères que de gros flocons de neige tombent rapidement, dru, de biais, en changeant à chaque seconde de direction comme les plumes d'un édredon crevé, la pluie se faisant rideau d'opaline pour ressembler au brouillard dense rencontré sur la Cardonille. 
Sur les bas côtés du chemin d'accès au village, de grosses branches des platanes craquent et tombent au sol en tentant d'accompagner les rafales de vent.

Je sollicite la Panda à plusieurs reprises. J'insiste jusqu'à ce qu'elle démarre ! Lentement, pour éviter de caler à nouveau, j’enclenche la première, emballe le moteur, embraye doucement pour avancer au pas et, comme Thomas, aller reconnaître toutes les sorties du village.
Circulation difficile. Affluence record dans le village qui n'en peut plus de tant de véhicules mal garés, gênant même la circulation des gros engins des pompiers. Nous sommes bel est bien coincés.

La salle de la Mairie est ouverte,  j’y descends ma cavalière. La pluie, toujours battante et bruyante roule en cascade des toits, déborde des chenaux que les gueules de leurs descentes vomissent sur les trottoirs et que les caniveaux n'absorbent plus : la rue n'est plus qu'une mare.
Dans la salle municipale, nous y rencontrons une quarantaine de naufragés de la route en train de se sécher dans une ambiance joyeuse à l'image de celles rencontrées dans tous les embarras climatiques ou sur les sentiers de randonnées : ici, on  n'oublie pas de ne pas oublier de se saluer en se croisant. Ne devrait-on pas dégoudronner toutes nos routes pour en faire des chemins d'amitieux, et pourquoi pas d'amoureux ? 
Pourquoi ? Vous osez ? Mais, parce que c'est moi qui vous le demande !
  
-Bonsoir, Madame ! Bonsoir, toi ! Tiens, que fais-tu là ? Et toi donc !
Une démonstratrice qui faisait sa prospection dans le village pour vendre un autocuiseur de marque allemande continue son job en nous préparant rapidement des soupes chaudes avec des légumes apportés par les villageois. Une aubaine que tous ces naufragés, parfois, n'est-il pas, meine Dame ?
En sus de la soupe, on nous offre du fromage, du pain, des charcuteries, des fruits, du café, du thé des boissons gazeuses sortis tout droit du village.

- Monsieur le Maire, que je sache, vôtre région serait réputée pour ses vignes.
- Vous voulez du vin ? Bérengère, il nous reste quelques bonnes bouteilles. Regardez dans la remise !…
L’apostrophe ne pouvait venir que de vôtre serviteur et vous remarquerez, dans ce dialogue, cet étrange vousoiement de raïol* de Monsieur le Maire s'adressant à Bérengère.

*Les raïols ou royaux, les protestants cévenols restés fidèles à Louis XIV durant la Fronde. 

Des villageois proposent aux naufragés le gîte et le couvert, ce que je refuse car j’ai toujours un duvet dans ma voiture. Je confie donc ma passagère qui ira manger des mouilles-frites* chez l’habitant, tandis que d’autres naufragés tentent toujours de partir. Par chance, l’électricité n’est pas coupée.
22 heures, et déjà quatre heure de pluies diluviennes !

*La moule mouille. Lapalissade. Wet mussel. Tournure idiomatique que les angliches nous envient. 

Vers minuit, les portables et la radio commencent à passer :
-Sur le Vigan : deux des quatre voies avant la côte de Sumène sont inondées. Mais on passe. La pénétrante du Vigan se désengorge. Attention à Moulès sur la 999, il faut un 4X4 ou passer par l'Eglisette. Non, St Laurent le Minier est totalement isolé... Et toujours des difficultés à Laroque : la route qui borde l'Hérault est fragilisée par un affaissement de berge avant l'église, vers Ganges. Sur le Causse, pas d'informations.

Progressivement, la salle d'accueil se vide. Je récupère un naufragé pour l'amener chez lui, à quelques kilomètres. Nous allons observer l'Argentesse qu’il doit traverser pour rentrer. Petit pont impraticable. Je l'amène chez des amis dans un mas sur la hauteur. Il est près de 1 heure du matin.
Curieux, je fais un saut vers Saint-Hippolyte-du-Fort. La route, encombrée à 22 heures 30 par un torrent formé à cause d'une buse d’évacuation trop étroite était à nouveau praticable.

La pluie a cessé. Au résultat ! A St Hippo,  l'Argentesse avait submergé le pont de la route de Nîmes, coulant vers Super U et le temple. L'eau est maintenant redescendue. Une équipe de télévision filme les dégâts puis visite, avec les pompiers une maison inondée.
Dans la ville basse, près du grand Temple, le Vidourle et l'Argentesse, en reprenant leur cours normal, abandonnent le mail recouvert d'une boue épaisse.

Cap de ville, un couple d'oies venu de nulle part prend possession de la place de l’église. Personne dans les rues, sauf nous trois et le silence. Tout est apaisé sous la lumière des réverbères, avec l'église qui se détache dans le gris du ciel, sereine et majestueuse.
Vers l’Institut des « Sourds et muets », l'ancienne route d’Alès, fossés et buses saturés est devenue un lac.

Dans la salle des fêtes, 196 naufragés* de la route, dont deux cars de personnes âgées rentrant d’excursion. Organisation parfaite de la Croix-Rouge et de la Protection Civile : lits de camp, duvets, oreillers, boissons chaudes, sandwiches, radio…

*Ndlr : 196 naufragés... Gilou n'a pas compté. Il est vrai que 200, cela faisait mesquin ! 

Et ça discute, et ça papote, et ça rigole, et ça se restaure. Certains jouent même aux cartes, voyez l'ambiance. Quant à nous? Eh bien...

... préférons nous retirer en nôtre Camping-Car-Panda (ccp) et, après un petit pipi du soir bienfaisant car libérateur, suivi d'une mise à poil pudiquement cachée sous nôtre duvet et, nous abîmant en une courte oraison, yeux grands ouverts sur nôtre nuit à remercier le Très-Haut d'avoir daigné nous accorder cette journée d’enfer pas si catastrophique que cela, pour nous s’entend...
... Et puis, nous nous endormons raïolement* en protestant, ce que vous pouvez bien concevoir.

*Ndlr : Raïolement, royalement.

Le lendemain matin je me présentais à la Cadière pour récupérer, auprès de nos hôtes mon amie qui aurait bien aimé dormir un peu plus (jusqu’à plus de 11 heures, m’avouera-t-elle confuse, comme à son accoutumée), et direction le Vigan.
Quant aux dégâts ? A Saint Laurent le Minier, ils furent impressionnants. Une personne y perdit même la vie. Tristesse !

Pourrait-on dire que je me serais régalé dans ce bastringue cévenol qui rompait mon train-train quotidien ? 
-Oh, que oui : vous pouvez le dire !

Fin de l'épisode cévenol, et rendez-vous au prochain épisode, bien au chaud dans mon lit... tant qu'à faire !

*************                                 

 Petit rajout de Pierrot : "Tu vois, ce qui m'a toujours interpellé après le bruit sourd, puissant, incessant qui accompagne chaque inondation est cette qualité du silence qui suit la fureur des éléments où l'on n'entend plus aucun animal se manifester, aucun miaulement ni aboiement, comme si la nature, fatiguée d'elle-même avait besoin de repos pour reprendre haleine."

(Merci, Pierrot pour ta modeste contribution si touchante. G.P.K.). 

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