mardi 7 juin 2016

Le slip de bain crocheté -3/4


1957 et mes 12 ans. Nous voici marchant sur le chemin de la rivière tout en tenant à la main ce slip de coton crocheté par nos mamans, et maintenant que vous m'accompagnez je tenais à vous rassurer, ainsi que Fanny sur la Chaussée du Vigan. D'après Pierrot qui s'y connaît, nos occupations, anodines à l'époque sembleraient à ce jour vous intéresser, les filles peut-être plus que les jeux d'eau des garçons. La curiosité, voilà pourquoi, mais je tiens à rappeler que nos gamineries ne durèrent que l'espace d'un printemps, et d'un été pluvieux. A ma connaissance. 

Avions-nous imité nos devanciers ? Je ne sais. Et les plus jeunes suivirent-ils notre exemple ? Eux seuls pourraient dire et on voudra bien le supposer, la jeunesse n'étant que ce temps compté où il faut se presser au partage de ses bêtises, toutes indispensables à l'apprentissage du groupe à la morale que l'enfant assimilera et qui, à force de n'importe quoi perdra de son élasticité. Mais, quel dommage pour l'humanité lorsque les adultes se mêlent à trop vouloir contrôler, pour les brider ces jeux de l'adolescence qui ne portent pas à conséquence, n'est-ce pas Pierrot ?

Tiens, nous arrivons aux trois sourcettes, là, ces petis bouillonnement dans la rivière. Vous pouvez vous pencher et boire cette eau d'Isis. Au fait, avez-vous remarqué que depuis que nous cheminons, à chaque rencontre, même entre inconnus, tous se saluent discrètement tandis que dans la ville chacun passe son chemin sans se soucier de l'autre ? Vous qui montez avec moi vers la chaussée, constatez. Curieux, n'est-il pas ? 

-Amusante réflexion mais, si tu passais sur un mode plus alerte ? Et à n'y rien comprendre ce titre du "slip de bain crocheté". Par contre, ta belle Phonème, ta rivière, ta pluie d'orage et ton coup de foudre ? Faut croire que la belle devait être canon, quoique toutes les jouvencelles ne le sont-elles pas ? Bien vu et bien écrit. Si, si, je veux ! Et, dire que ça partait bien. On attendait, toutefois une petite description du slip de bains des filles, je ne sais pas moi, et pourquoi pas de la culotte de Phonème telle une ceinture de chasteté crochetée par son amoureux, mais non ! Monsieur nous refuserait même un petit friand bien croustillant. Encore à côté de la plaque. Partir d'un si beau titre... gâchis ! 
Je crois vous entendre parler comme Américo, ce que détesterait mon bon Pierrot.
  
Négligeons votre petite observation... si, si et poursuivons notre récit. Donc, voilà qu'en prenant de l'âge, vers 12 ans Pistou se lassa pour réorienter nos gamineries. Je crois qu'il inaugura le saut à vélo depuis la chaussée, la subtilisation des soutien-gorge des filles, plus rarement de leurs culottes tout en minaudant comme elles sur le déversoir de la chaussée, suivi par les hurlements d'une sirènes craignant pour son soustif. Mais, Pistou avait la main leste et le pied agile. Après ? Plongeon pieds en avant, nez bouché d'une main comme elles faisaient à chaque saut, l'autre main retenant son lourd slip se tenant toujours aussi mal, la poitrine comprimée par un soutien-gorge bien trop étroit, pour sortir de l'eau tout content de lui. 
Je tiens à signaler à ceux qui seraient particulièrement observateur que Pistou, devant retenir son maillot des deux mains ne pouvait en aucun cas imiter les filles qui sautaient en se pinçant toujours les narines, l'autre main coquine haut levée en un : "Ne suis-je pas belle ?"

Vous pouvez imaginer notre excitation pour ce simple jeu qui nous changeait des batailles de pommes et des non moins traditionnels feux destinés à la grillade des truites, ainsi qu'à l'étude attentive des contorsions des serpents d'eau sur la braise, avec ce plaisir redoublée par le dégoût des filles que je ne vous raconte pas. Ensuite, nous ajoutions le Pharaon, le Menteur, le Tas de Merde ou le 8 américain alors que les grands s'essayaient au Poker. 

On se constitua encore en bande de petits braconniers redoutables qui durent parfois rechercher leurs vêtements ou les vélos à la mairie, rapport au garde-champêtre et, en prenant de l'âge, tout en maintenant ferme la tradition des picoureilles*, on glissa naturellement au Chemin des amoureux, les plus grands fréquentant le cinéma, le Café de la Gare, son baby-foot, son dancing du samedi et, les soirs d'entre les foires des 9 et 22 septembre cherchaient noise à ceux de Ganges qui avaient l'outrecuidance de taquiner nos viganaises qui résistaient mollement à l'envahisseur, ce qui nous rendait encore plus furieux. Pensez : oser sur nos terres.

*Picoureille :  traditionnel chapardage des fruits chez le voisin, souvent à la nuit tombée. Tous copains et voisins. A force, chacun volait ses propres fruits. Peut-on se voler soi-même ? Impossible. Donc, pas très grave pour les parents. Quoique, pas pour tous.

J'interromps le fil de mon propos pour ne pas oublier les samedis d'antan et les jours de fête quand le griffe*, placé en giratoire se mettait aux grandes eaux, le jet principal montant à plus de 5 mètres de haut pour éclabousser voitures et passants. Faut dire qu'à l'époque des lavoirs et des bains-douches communaux disparus, l'eau ne manquait pas et le bon sens non plus qui commandait de bien marquer la semaine. Nos grandes eaux disparurent sans que nul ne s'en souciât. Et que Dieu ait pitié de l'iconoclaste heureux qui nous en priva.

*Griffe ou griffoul : fontaine supportée par quatre lions dégueulant l'eau dans un bassin et surmontée d'un jet d'eau supérieur devenu aujourd'hui un pissadou bien tristounet de 20 cm. Le lion, griffes, griffoul. (Au besoin, j'accepte les corrections méritées. Demandez à ma Fanny).

Donc, nous revoilà au Café de la Gare. Pas de télévision de par chez-nous, donc on allait en bande chez les frères Fulcran, au "Modern' cinéma", n'oubliant pas en été dans les villages alentours les fêtes votives tant attendues, les bals et leurs bagarres plus ou moins générales, sans compter les tournois de foot inter-quartiers des jeudis et samedis, avec Chicago (le Pont, mon quartier devenu du Vieux Pont après la construction du nouveau à la place du dépôt d'ordures municipales), contre la Gare, les Châtaigniers contre l'Elze, le Quai contre Saint-Euzéby, et les randonnées à vélo sur Ganges, Sumène et Saint-Hippolyte du Fort à chasser la caille sauvage, pas plus belle mais plus goûteuse que par chez-nous. Que l'on ne s'y méprenne pas :  "Ma caille" n'était qu'une douceur d'amoureux pour nos petites nanas de l'époque.  Enfin, je l'espère mais faudra demander à mes vieilles copines.
Puis septembre et son retour obligé à l'école ou au nouveau collège et les foires des 9 et 22 septembre, et les gangeois, et les auto-tampon, et les bals, et les bagarres et... 

-Vous étiez nombreux quand il pleuvait à vous lancer de la chaussée ?
Tiens, semblerait qu'il n'y ait que ça qui t'intéresse, Fanny. Ma parole !
-Nombreux, nombreux... non, mais une belle brochette d'une douzaine, ou un peu plus ? Je n'ai jamais compté. Qui entamait le jeu ? Toujours Jean-François qui, tout en déclarant que les batailles de pommes l'emmerdaient, montait sur la chaussée par pluie battante (nous sommes en Cévennes), et tous attendaient son fameux cri de Tarzan :
 -Youou, les filles ! Les filles... Youou, je suis là ! Evidemment, pas de réponse. 

Oui, Pistou avait de la superbe quand il se déculottait, son nez droit et puissant à la grecque, sa bouche de Bourbon, sa petite taille et sa mèche à la Napoléon 1er, le menton en avant à la Duce mais pas que de la gueule comme lui, tout l'ensemble ne faisait pas qu'illusion : un vrai empereur de 11 ans, là-haut sur le déversoir qui ne souffrait aucune critique de ses sujets lorsque enfin il écartait les genoux pour retenir son maillot et l'empêcher de lui tomber aux chevilles. Vous pensez bien : ce sacré slip de bain inutile, en montrant tout acceptait, pour une fois de bien se tenir. Ecarté et sans les mains !
-Oh, les gars. On y va ! On va leur monter aux filles.
Je veux bien, moi. Mais des filles, il n'y en avait pas. Il pleuvait à verse.

Et puis, non ! Sur la Chaussée, Jean-François, le roi de la déconne dont les gendarmes avaient souligné le surnom de Pistou en rouge à la brigade n'était aucunement ridicule, le cul nu, trempé comme une soupe par l'orage. Pensez, à 10-11 ans, n'est-ce pas mignon un cul ?
-Et les copains le suivaient, comme ça, à se déculotter sans honte ? Ben, faut le faire.
-Je veux, oui. Et lorsque nous étions tous alignés en rang de Cèbes*, le dernier  hurlant toujours : "Attendez-moi, j'arrive !" et les filles, pour nous n'étaient que les prudes restés assis tout mouillés sur les rochers, les grands, surtout les 13-14 ans qui en avaient fini avec ces espiègleries.
*La Cèbe. Tout le monde aura reconnu le fameux oignon doux des Cévennes. 

 -Donc, vous sautiez du déversoir de la chaussée. Trois mètres de haut, le maillot sur les genoux, mais ça devait claquer vachement au contact de l'eau. Mon pauvre ami !
-Mais, non. Pas sur les genoux. Tu n’as rien compris. Que je t'explique : après que le chœur des puceaux se soit bien ébroué, à n'en plus pouvoir jusqu'à la finition, si j’ose dire on remontait notre maillot alourdi encore plus évasé d'avoir été baissé sur les genoux, le maintenions des deux mains sur les hanches pour sauter. Jamais en même temps, certain plus lents à la manœuvre, et plus vite tu plongeais, plus vite tu t’étais achevé. Les derniers, tout à la peine poireautaient sur le déversoir glissant pendant que le chœur des puceaux en bas de la cascade leur intimait l'ordre de parfaire l'achèvement.

Se finir sans tricher. Voyez bien que la morale ne s'acquiert bien que par le groupe.

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