mardi 21 juin 2016

Lisbonne, j'y reviendrai ! - 3/3

Lisbonne, un coup de cœur. On aborde toujours une ville ou un pays avec des à-priori. Pour les grands découvreurs, les Amériques, le poète Camöens que j'avais lu, normal car je lirais n'importe quoi et tout ce qui me passe par les mains, d'après Fanny, la sauvagerie des guerres coloniales d'Afrique, le Frolimo et autres mouvements de libération, Salazar, Marcelo Caetano, la révolution des Capitaines de 74, Otelo de Carvalho, les communistes et tous socialistes, l'armée, Màrio Soarès, de l'adhésion à la CEE et du déclin du Portugal, j'en avais une vague idée, sans plus. Quant à l'art portugais, un inconnu pour moi.

Lisbonne vous déroutera toujours. Moi qui ne connaissais la ville que de nom, jamais je n'aurais pu imaginer une telle capitale si riche et trop grande pour un petit pays si pauvre, loin de tout en Europe.

Rayez Paris de la carte, la France s'en passerait bien ce qui n'est pas le cas pour le Portugal tout entier contenu dans Lisbonne, sans doute la raison qui en fait une ville difficile à appréhender, une belle provinciale qui tient ferme son rôle de capitale européenne tout en évacuant la grandeur de son passé, ses dictatures et semblant tourner le dos au pays et à l'Europe, une ville plus petite qu'il n'y paraît qui veut faire la grande et encore désespérément tournée vers l'océan qui ne peut plus rien lui apporter.

Je pensais Lisbonne en grand port et n'y ai pratiquement décelé aucune activité. Je parcourais la ville des journées entières de grisaille et de pluie avec une bonne crève qui, en me rendant maussade comme le temps ne nous permirent pas de jouir pleinement de notre visite.

Lisbonne ? J'y reviendrai, la ville méritant qu'on la découvre quartiers par quartiers, sans courir et en allant à la rencontre de ses habitants, en prenant tout son temps et en s'y attardant de jour et de nuit rien que pour le plaisir. Et pour savoir s'il fait bon y vivre à l'année. 

Maintenant, j'aimerais vous présenter la star de la ville, le E28 comme Electrick, un amour de tramway, sorte de petit jouet pour grands enfants.

En pensée, nous ne sommes plus à Lisbonne mais à San Francisco dans une toute petite machine allemande de bois et de fer des années 30 presque neuve car toujours retapée et qui possède des freins suffisamment puissants pour vous étaler sur le plancher, à tous coups gagnants. De même qu'à l'arrêt, il vous faudra prendre garde à ne pas achopper sur la seule marche disposée entre la plate-forme arrière fermée et le corps du tram, un vrai casse gueule. 

Ajoutez à l'affaire du E28, ses démarrages de F1 dans les montées et ses descentes de rues dévalées à grande vitesse, un animal fougueux plein de crissements de ferraille qui croise difficilement, dans la vieille ville aux rues étroites les piétons posés sur des trottoirs étriqués et qui doit parfois s'arrêter pour les laisser passer avant que de continuer sa course tout en obligeant les voitures à manœuvrer pour faciliter son passage à contre-sens du sens obligatoire des voitures, le tramway, prioritaire étant toujours dans son sens de circulation. Les voitures aussi dans le leur mais devant le laisser passer. Dilemme, mais pas tant que ça puisque tous arrivent à circuler comme si de rien n'était. Tout le monde suit la bien la manœuvre de tous ces "laissez-moi passer" et ces "après-vous, je vous en prie" ?

Et la cloche du tram pour dire : "Je passe" ou bien "Serrez-vous" ou encore, "Grouillez-vous".
N'oublions pas les titis et autres écoliers du coin qui s’accrochent à l’extérieur du E28 pour profiter gratuitement du voyage et les affiches mettant en garde le voyageur contre tous voleurs à la tire ou à l’esbroufe.

Donc, le Tramway, je disais… tu le vois dans les séries télé sur San Francisco ? C’est pareil sauf que les machines minuscules qui devraient être  à la retraite depuis belle lurette, souvent bondées, brinquebalantes font la fierté des Lisboètes. Quant aux rails à voie étroite, ils sont tellement usés qu'on se demande comment le E28 fait pour ne pas dérailler. Pour ce qui est de la largeur des rues, ce n’est pas l’Amérique, je l’ai déjà dit. Et tortueuses. Et qui ne connaissent jamais l'angle droit.
En parlant de l’Amérique et S.F., à Lisbonne se trouve le pont du 25 Avril sorte de petite copie du Golden Gate, ainsi qu'un Christ qui ressemble à celui de Rio sur la rive gauche du Tage.

Les gens de là-bas ? Plus qu’agréable, serviable, aimant recevoir, renseigner, et causer de tout. Surtout en français. Contrairement à Florence où trop souvent un billet manquait à l'appel, personne n’a essayé de me carotter dans le rendu de monnaie. En Italie, sur dix euro, on vous rendait sur cinq. Sur vingt, le billet de dix manquait parfois à l’appel. Le temps réaliser et de réclamer…
- Mi scusi, signor ! Mi sono sbaliato ! Sbaliato toi-même ! Se tromper, tu parles !

Quant à la nourriture ? Une soupe à 1,50 euro, la meilleure du monde. Un repas à la Cantinada Fatima pour 7,50 euro. Soupe, poulet-frites et légumes, salade et désert, seul le café ristretto au robusta du plus mauvais goût pour terminer. Une moitié de poulet rôti débordant de l'assiette avec l’aile et la cuisse attachées. Du jamais vu, mais à Lisbonne on ne joue pas avec la nourriture. A manger pour deux.
Dans certains restaurant, ne touchez surtout aux tapas qu'on vous proposerait à l’apéritif. Ils vous seraient facturés bonbon. J’ai promis au serveur que s’il me refaisait le coup des tapas je n'y toucherai pas mais je m'arrangerai pour éternuer au dessus, rien que pour l'amener au respect des touristes.

L'autre contrariété culinaire, en toute forme d'impolitesse concerne le poisson :
- Votre morue, elle est fraîche ?... Pêchée de ce matin ?
- Oui, de la criée ! Excusez, mais il ne me reste que du merlan... Non, plus de morue.
Cause toujours, mon vilain. D'abord, le couple assis en face, bien qu'arrivé après nous mange de la morue sortie du chalutier ce matin. Comme si cela se pouvait, le poisson ayant déserté les côtes européennes, et notre pauvre merlan frit, mal décongelé semble bouilli, peu ragoûtant.

Dimanche, nous partons pour le monastère San Jeronimo de Belém classé au patrimoine de l’Unesco. Un bijou imposant, extrêmement bien conservé. 10 euro la visite (5 pour les vieux comme moi). Cher, mais cette splendeur le mérite.
Quelques roumains profitent de la longue file d'attente à la billetterie pour vendre des babioles et me rappellent qu'étant attentif à repérer les minorités visibles je constate que les noirs portugais, originaires du Mozambique et d'Angola se fondent parfaitement dans la population, que les "arabes", en ressemblant à leurs cousins portugais ne se remarquent même plus, et aucun curé en soutane. Une seule mendiante et une famille roumaine de vendeurs de rue, uniquement sur le parvis de l'église de San Jeronimo. Un seul aveugle et sa sébile nickelée dans le métro.
Il est est vrai que je l'avais déjà signalé. Par contre beaucoup de jeunes amoureux de tous sexes, bien appairés à ce qu'il m'a semblé puisque se tenant par la main. Que des touristes avec aucun portugais, ou alors je me serais trompé.

Assistons à la messe solennelle de ce dimanche matin. A ne surtout pas manquer le sermon en portugais, cette langue chantante qu’on retrouve dans le phrasé des commentateurs sportifs brésilien. A se caler sur une chaise pour savourer ce fado parlé. Je n’ai pas compris un traître mot, mais quel régal. Tous les visiteurs de l'abbatiale se sont arrêtés pour suivre le prêtre. Que dis-je : le tribun, le chanteur, la vedette. Une leçon d’éloquence dans une langue incompréhensible. Etrange me diriez-vous ? Y étiez-vous ? Non ? Alors, que l’on me laisse dire tout le bien de cette messe, et voila pourquoi le parpaillot que je suis aime à paraphraser notre bon roi Henri IV :  
- Belém et Lisbonne valent bien une messe !

Arrivée jeudi 25 au soir. Soleil. Vendredi pluie diluvienne, mais déambulation entre musées, églises et petit restau. Samedi, temps de giboulée. Dimanche à Belém soleil. Résultat ? Une crève phénoménale avec ronflements à la clef. Et, à chaque fois, réveil en sursaut :
- Tu ronfles !
- Pas possible, je ne dormais pas. Je te le jure. Je songeais.

Incroyable car, en faisant tout mon possible pour ne pas ronfler je m'assoupissais et m'entendais commencer à ronfler, ce qui me réveillait. Je ne pensais pas la chose possible de s'entendre ronfler !
 
Je songeais donc à me réfugier dans le salon pour ne déranger personne. Un soir, nos jeunes Ch’bèbes* sont revenus tard d’une dégustation de Ginja (la Ginjinha, vin de cerise), un verre de bière à la main. Resté plein après 6 étages de 105 marches bien comptées. Trompette, saluez l’exploit ! Tariiiiii ! Fermez le ban !
Les deux garçons se sont isolés sur la terrasse. Je me mis donc à ronfler pour les conforter dans leur intimité et qu'il puissent enfin souffler en s'embrassant longuement, langoureusement à ce que j’ai pu estimer, en parfaits amoureux. Longuement ? Toute une éternité, oui. Je suis photographe, compteur de pose. Langoureusement ? Je veux, vu le temps mis à se sortir de leur baiser de jeunes amoureux. Etais-je choqué ? Que nenni car le bonheur ne gêne que les parfait abrutis, comme dit si bien Américo. Quant aux jaloux, nous les confions à l'amour de Dieu. S'ils ne le veulent ? Qu'ils se taisent à jamais !

*C'bèbes, de cheveux en  berbère. Pour dire les hommes aux cheveux longs, quoique des effets de mode...

- Comment peux-tu le savoir qu’ils se roulaient une pelle ? Tu disais que tu ronflais !
- Mais, si je te dis que je ronflais, c'est donc que je ne dormais pas, voilà !
- Donc, tu dormais à moitié. Mais, personne ne peut dormir à moitié. Deux mecs assis sur la terrasse à la nuit, et toi tu fantasmes... être dans les bras d’un mec, tu aimerais, Gilou ?
- Si ça peut te faire plaisir... obsédé homosexuel dans mes rêves. Contente ?

Par la suite, il me sembla que nous croisions beaucoup de ch'bèbes hommes et femmes dans les rues. Faudra me faire soigner, mais ce joli baiser échangé par nos colocataires sur la terrasse, je ne l'ai pas rêvé. Pas possible.

Pourquoi j'ai aimé Lisbonne ? Trop difficile à tout dire. Si la ville apparaît comme petite, dès qu'on y déambule ses rues et venelles vous la font voir immense par ses longues côtes et ses descentes interminables, comme si la difficulté de la marche allongeait les distances entre des quartiers enchevêtrés les uns dans les autres.

Et, ici, beaucoup de touristes français qui se sentent comme chez-eux tout en se comportant bien mieux : plus souriant, cherchant à discuter en parlant normalement sans faire les beaux, serviables, et pour une fois agréables. Ce ne sont pas les timides et discrets touristes français de Florence. Ici, nous sommes chez-nous, en France tant le portugais nous accueille amicalement.
Mais, comme le dit Américo :

- Je crains fort que l'Europe n'en fasse des européens avant longtemps. Dommage !

Fin de la visite. Et encore dommage, car on aurait bien aimé y rester plus longtemps.
(Photos N&B de moi-même, G.P-K. Nikon FA au 50mm. Pellicule Ilford FP4).

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