mardi 27 septembre 2016

Des urgences à la prison.

Préambule : Je ne suis pas expert en ces choses de la réclusion et de la liberté et, seuls ceux qui purgent de longues peines, ces détenus oubliés de tous pourraient le prétendre.
Ici, j'espère ne pas donner trop de leçons et ne voudrais que réfléchir tout haut sur ma vie végétative en prison. J'ai aussi, comme celui qui n'y aura jamais goûté des solutions qui pourraient améliorer facilement les conditions de détention. Discutons, le voulez-vous après avoir écarté tous les y a qu'à et les faut qu'on.

Puissiez-vous, par ma plume pénétrer à l'intérieur de la prison et que tous ces citoyens étranges plus ou moins en marge de la société, des longues peines aux gardiens de prison et aux juges puissent se servir des réflexions d'un ex-taulard sur sa détention.
Quant au travail des surveillants et aux décisions que doivent prendre les juges, les procureurs et les directeurs des prisons, si j'aborde souvent le sujet, je sais que ma vision ne sera jamais que subjective, mais c'est ma vérité.
Puissent ces écrits être profitables à tous.

Des prisons inhumaines car en surcharge pondérale et disposant de peu de moyens. C'est tellement évident. Point de contestation possible aussi, commençons par la vider de tous les fous furieux, gentils, apathiques, excités qui ne justifient en aucun cas de la prison mais de l'asile psychiatrique. Sortez les fous de la prison et elle fondra d'au moins 20% ce qui permettrait d'aider les détenus fragiles psychologiquement.
Rien que pour le plaisir de m'en souvenir, j'ai l'honneur de vous présenter Justin que nous appelions affectueusement entre-nous "le fou", ce qui l'amusait et qui disparut le jour d'avant sa sortie. Pour où ? Nul gardien ne nous le dira. Secret professionnel, mais j'ai bien peur que la prison ne lui fut néfaste. Bénéficie-t-il d'un internement psychiatrique, subit-il encore la prison, est-il mort ? Grièvement brûlé et handicapé ? Pour ça, j'en mettrais ma main au feu !

Justin, adorable colosse suivait le traitement préconisé par le service de psychiatrie de la prison et tout allait bien pour lui et pour nous. Mais un jour, sans savoir pourquoi, il changea de comportement et se mit à crier, à faire l'abruti ou le poirier à la demande des Animaux du troisième étage, puis sautait comme un cabri sur l'abri du téléphone de la cour de promenade, soliloquait en fou, prenait ensuite à partie tout le monde ou s'accrochait aux grilles tel un singe pendant que des malfaisants de l'autre cour lui crachaient dessus et lui, restant à leur portée en riait. Tout souillé.
Justin n'avait plus d'argent et il échangeait ses médicaments contre des cigarettes ce qui le réinstallait dans sa folie. 

Justin écopa de la prison après son passage aux urgences d'un hôpital : il désirait être interné à l'asile psychiatrique mais, comme il n'existe pas d'urgences psychiatriques, on le renvoya. Non traité, pris de bouffées délirantes il s'acharna à casser les vitres de trois ou quatre voitures de médecins, une bagatelle disait-il. Grand et fort, il faisait peur à tous. 
Dilemme pour les urgentistes, la police et le juge : un homme désirant se faire interner dans un asile psychiatrique peut-il être considéré comme fou ? Doit-on, par cette prise de conscience de "sa folie" le déclarer sain d'esprit ? Le juge ne considéra que le passage à l'acte de  Justin et, à ce qu'il me raconta fut méprisant :
- Vous aimez casser ? A votre aise. En prison on vous cassera.

Casser, soit, Monsieur le juge, mais dans le placement d'office que vous préconisiez pour Justin, à défaut de vitres, ici il y a de quoi faire quand on s'en donne la peine et qu'on veut à tout prix se faire interner, pas dans une cellule de prison mais dans celle capitonnée d'un asile. Et Justin avait la santé et de la détermination et, sans médicaments pas mal de folie furieuse à revendre
Rappelez-vous que la prison, tournant au ralenti avait revêtu sa tenue légère d'été avec un service psychiatrique restreint, débordé, peu d'encadrement et d'activités. J'avais signalé son cas à la psychiatre qui le reçut plusieurs fois et demanda que son codétenu l'aide à prendre ses médicaments mais, entre fumer et se soigner, Justin avait fait son choix. 

Curieux, tout de même que notre gaillard puisse casser des voitures pour exiger d'atténuer à tout prix sa détresse et, en prison préférer sombrer dans sa maladie pour pouvoir fumer, le manque insupportable de cigarettes en prison, plus douloureux que son mal-être le remettait, sans ses médicaments qu'il échangeait contre du tabac dans sa folie encore plus délirante.
En prison ? Pouvoir fumer, et qu'importe la folie. Libre ? Tout tenter pour sa santé mentale, et qu'importe la gravité des actes délictueux. Insensé, sans mesure, sans nuances, hors toute réalité et délinquant, voilà Justin mais, reconnaissez qu'en prison il devenait encore plus fou, véritable danger public qui occasionnerait de plus graves dommages que des vitres brisées... 
 
A moins d'un mois de cette sortie qu'il appréhendait, Justin cassa sa télévision. L'Administration parlait de lui faire payer le poste par retenues sur son pécule puis en le poursuivant à sa sortie. Il n'avait pas d'argent. Ils pouvaient toujours courir. Ça le faisait rigoler. Disons que, en l'affaire, il raisonnait sainement et justifiait de son placement en détention.
Puis, revenant à sa folie, il s'amusa à mettre le feu à sa cellule et, ne sachant pas que les matelas synthétiques dégagent des fumées toxiques, il faillit mourir asphyxié avec son codétenu. Même les peintures avaient brûlé. Un coup de pot que cela se passait dans la journée et que les gardiens réussirent à les sortir à temps.  

On le logea seul dans ma cellule et on me déplaça dans celle de S.N.P. la petit souris que l'Administration avait fait empoisonner, l'insalubrité étant sa hantise tout autant que les possibles émeutes de l'été. En promenade, Justin délirait sur sa sortie imminente et, ne faisant qu'en parler prévoyait encore de casser les vitres des voitures aux urgences si on ne le plaçait pas dans un asile. La prison ne lui ayant rien appris, on peut estimer qu'il était fou à vouloir recommencer à casser, revoir le même juge et se retrouver encore à la même Maison d'arrêt de Nîmes.
Une semaine avant son départ, il commença à tambouriner à la porte puis allait à sa fenêtre en vociférant à longueur de temps. Et de la fenêtre à la porte, et ainsi de suite. Toute la journée.

Les cellules du général Washington et de votre serviteur, le marquis de La Fayette encadraient celles de Justin. George tentait bien de le calmer, surtout le soir lorsque l'animal encagé se faisait plus furieux :
- Justin, ferme ton gueule, bordel. Petite branlette et dormir ! Demain, une cigarette ... Un temps de silence puis Justin recommençait son barouf. Alors, George de guerre lasse terminait par un aimable Shut up, bastard ! et autres Fuck you, son of a bitch, le tout intraduisible.
- Washington, laisse tomber...
Justin nous aimait bien, Georges et moi mais rien ne pouvait le retenir dans sa folie furieuse et, le dimanche d'avant le mercredi de son élargissement, je crois, il cassa tout et encore un poste de télévision, celui de mon ancienne cellule.

Le lendemain, dans la cour de promenade, Justin s'agitait toujours plus, s'excitant comme un gorille dans son simulacre de l'attaque d'un intrus, grondait, menaçait même George qui lui avait refusé une cigarette pour le punir de son tapage nocturne : quelque pas rapides en avant, cri rauque, masque terrifiant puis vive reculade. 
- Justin, je vais casser ton gueule. Faut dire que Washington savait montrer sa musculature pour n'avoir nul besoin de se battre. 
Pratiquement, tous évitaient Justin parce que l'animal était jeune, grand, fort, puissant et, comme nous avions plus de patience, de temps et de perspicacité pour le jauger que son juge, nous savions qu'il était fou à lier. Et dangereux sans ses remèdes. 

Heureusement que Justin ne recevait même plus les 20 euros* de pécule par mois octroyés généreusement aux indigents de la prison, rapport à la première télé cassée et que, fumant plus-plus il avait donc grand besoin des promeneurs pour réclamer la permission de tirer une bouffée à leur clope, ce qui le calmait et l'obligeait à sortir de son isolement pour communiquer avec nous.

Par bonheur encore, comme j'étais honteux de voir mes copains ramasser les mégots des détenus, je leur offrais quelques cigarettes. 
Notre Justin des prisons, dans le besoin me suivait comme un toutou qui réclamerait son su-sucre et je parvenais à le calmer. A coups de cigarettes.

*Le paquet de Marlboro, la monnaie d'échange entre taulards valait 6,50 euro acheté à la cantine et se dévaluait à 5 euro lorsqu'il était cédé en remboursement de dettes.

Interdit de fumer dans sa cellule, je ne sais pas comment il s'y prit mais, le lundi d'avant sa sortie, rebelote, et revoilà Justin qui remet le feu dans sa cellule et, plus grave que la première fois, vers les 20h30 alors que l'étage semblait vacant de tout surveillant. C'est alors qu'une fumée noire, épaisse poussée par le vent envahit d'un coup ma cellule.
- Merde alors. Ce con de Justin a remis ça ! Il va cramer. Et nous avec.
On ferma vite la fenêtre et on appuya sur la sonnette pour que le gardien voie la lumière s'afficher dans le couloir et dans son poste de veille. Pas de bruit de pas dans le couloir. Alors, on tambourina sur la porte d'acier comme des fous. Georges Washington fit de même avec ses deux colocataires. Puis, tout l'étage enchaîna. Au troisième et au quatrième, pareil. La prison semblait toute à l'émeute.

Quatre à cinq minutes de chahut monstre, c'est long, angoissant dans tout ce raffut infernal impuissant à déclencher l'arrivée des secours, surtout qu'on n'entendait plus la voix de Justin. Ensuite, tintements de trousseaux de clefs et halètements caractéristiques des masques à oxygène des gardiens firent cesser les cris des détenus et les roulements de tambours sur les portes.  
Clac. Un seul clac pour une fois. Du premier, le silence gagna lentement les deux autres étages tandis que dans notre cellule, avec mon codétenu nous tendions l'oreille contre la porte pour suivre les opérations. On s'attendait à réentendre les cris de Justin, mais rien. Puis ce fut le chuintement des pneus du chariot de la bouffe se déplaçant dans le couloir. Aller-retour. Les gardiens se taisaient. Un silence de mort.
Le lendemain, aucune nouvelle du forcené et, comme après chaque "clash", la prison reprenait son rythme de croisière d'été. Etait-il au mitard ? Pas si sûr, pourtant Justin le Fou et son histoire disparurent comme par enchantement de nos préoccupations, les nôtres nous suffisaient. 

Quelques jours plus tard, en allant en promenade, la porte de mon ancienne cellule étant ouverte avec des détenus qui la remettaient en état, outre l'odeur caractéristique des feux de matière plastique je constatais que la peinture, surtout celle de la porte d'acier était complètement noircie et craquelée. Il y avait eu un feu violent comme si le matelas avait été poussé et s'était embrasé contre la porte, Justin devant se tenir près de la fenêtre. Certain. Mais au vu de l'opacité de la fumée noire toxique qui avait envahi rapidement notre cellule dès le début de l'incendie et de l'étendue du désastre sur la porte et la cellule, Justin ne pouvait que revenir encore une fois à la case départ, aux urgences de l'hôpital. Ou mort.

L'enchaînement vers la prison était prévisible : Bouffée délirante ? Possible mais pas de spécialiste de la folie aux urgences. Les médecins et le juge estimaient qu'en réclamant un internement psychiatrique et en passant à l'acte, Justin était sain d'esprit. L'affaire était grave. Tolérance zéro de la Justice pour les agresseur d'urgentistes. Comparution immédiate. Pas de psychiatre pour examiner Justin ? Ou un nul dans sa spécialité ? Un juge débordé, fatigué ? Justin se défendit-il seul ? Avait-il demandé un avocat commis d'office qui aurait réclamé une expertise psychiatrique ?

Résultat prévisible : le juge placera en détention un homme considéré comme saint d'esprit qui se révèlera encore plus malade mental en détention et qui mettra en danger, lui et ses codétenus et des Justin, sachez que la prison en regorge. 

Les urgences amenaient Justin en prison et la prison renvoyait ce fou à son point de départ vers des vitres de voitures à casser pour pouvoir se faire interner. Mais où ? Serait-ce le balancier du destin ? Et Justin, aurait-il péri en prison ?

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