mercredi 27 juin 2012

9ème jour de grève de la faim!*


Illustration de René BOUSCHET (R&B).
 
Toujours Mercredi 27 juin. 

Ce jour, je suis faible. J’ai des difficultés à monter dans mon lit. Déjà le 9ème jour de grève de la faim.
Ici, l’ennui, l’inoccupation, le stress, la désespérance sont de coutume. Perdu en haute mer, balloté au gré du vent et de la houle, sans aucun cap, gouvernail et moteur hors-service, voile en lambeaux. Incapable de se repérer dans la nuit noire. 

S.O.S. Help ! Au secours !

Ai-je bon moral ? Enfin, je me plais à le croire. J’essaye d’être utile à mon compagnon. Je l’appelle Séraphin, ce Monsieur de la Mélancolie, un angelot qui déprime grave.
Dieu m’aurait-il placé ici pour faire œuvre utile ? Etre un rayon de soleil, tenter de faire bouger les immobilités, changer et humaniser les rapports entre gardiens et détenus ? Amener l’espoir ? Un l’exemple ?
Rêve pas trop, du gland.

Espoir, en pays de désespérance, le plus beau et de manière forcenée, opiniâtre jusqu’à ce que les barrières bougent, puis tombent. Ah, marquer le dimanche, pour marquer les semaines ! Le début d'un goût de liberté !

J’ai rêvé d’un bon vrai café pour marquer les dimanches. J’ai une stratégie qui fait bien rire Séraphin :
-Si tu y arrives, moi, je peux devenir Pape.

Donc, étant gréviste de la faim, il me suffirait d’écrire à Julie que je consentirais à boire un café très, très, mais alors là plus que sucré pour arrêter ma grève de la faim. Faisons confiance à la Censure. Qui ne tente rien n’a rien.
(Ndlr : il n’y aura pas de bon café. Hélas, même en prison la censure ne fait pas bien son boulot. C’est à désespérer de la Justice).

Dans notre environnement, seuls deux trafics : le ci-devant tabac) et le çà-derrière shit. Ces trafics ne posent pas problème. Seule, la dépendance des pauvres crée des difficultés : on ne prête qu’à ceux qui demandent. Mais, comme seuls les pauvres sont en manque, que l’intérêt est usuraire, beaucoup de pauvres tombent du lit et se font très mal. Mais, tomber n’éteint pas la dette.

Pour une cigarette de shit, il faut un paquet de Marlborough, la monnaie zonzonnaire. Pour un paquet de Marlborough emprunté, il faut rembourser trois paquets au moins. Et pour un tout petit morceau de shit, plusieurs paquets sont nécessaire. 
Comme je suis devenu goûteur de la marchandise qui me fait cracher et tousser longuement, je peux vous assurer que c’est vraiment de la super merde de merde qui arrive ici par colis. C’est fou !

Même les sachets de café se troquent : 40 sachets égalent un paquet de Marlborough.
Voilà pourquoi, les fumeurs de ci et de çà sont à la merci de gros cons, par-ci et par-là.
Je suggère, chaque fois aux fumeurs de profiter des conditions idéales offertes à tout un chacun par la prison pour arrêter de fumer. Qu’au moins, l’incarcération ait servi à quelque chose de bon.
-Oui, mais, je suis trop inquiet pour arrêter de fumer !
-Ben, continue, mon n’veu. Cours, Charlie, cours !

Je languis ma fille, ma chienne et mes amis. Mais, quelle est cette impression du devoir auprès de mes amis détenus, et puis l’écriture, quel plaisir de roi. J’ai l’impression de rayonner, et pourtant !
Je suis stressé à mort, sans m’en rendre compte. Je ne bande plus depuis lon-la, lon-lère.
Irai-je au bout de ma grève de la faim. J'ai faim ! Je n’ose demander à Dieu.

Ici, aucun oiseau en vue. Même pas les corbeaux de misère. Pas d’arbre, pas de fleur. Pas d’eau bruissant. Du béton et du barbelé. Pas n’importe lesquels. Du vrai, du solide, du piquant. Ce matin, les cours ont été balayées. Miracle!

Nos portes sont d’acier. Pas de la même forge que nos couverts. Du bon acier de guerre. Les clic-clac brutaux des loquets, quand les clefs pénètrent les serrures et forcent les pennes nous font sursauter.
-Que me veut-on encore ? Et vous ne savez pas. Et vous redoutez de connaître.

J’ai donné à l’ami américain sa lettre pour le Proc. Il me tiendra informé de sa date de rendez-vous.

Dans la cour, Mounir ne voulait pas parler à Pierre. Ce serait un pointeur. Je me suis insurgé :
-Je le connais de longue date. Sa femme, Fatma a été élevée avec moi. Elle est médisante, dangereuse, hystérique. Et sale.

Pierre a élevé admirablement ses enfants, sans l’aide de leur mère qui dormait toute la journée et les maintenait dans une crasse extrême. Pour ses enfants, il a arrêté l’héro et la coca. D’un coup. 
Celui qui dit que c’est un pointeur ? C’est un fils de rien. Moi, je témoigne que non. Non et non ! Il s’occupait de ses gosses à la place de sa feignasse de femme : tu le voyais dans la ville, seul, promenant ses enfants, faire les courses, les amener et rechercher à l’école. Jamais au bistrot. Il ne fréquentait plus Rodger la Mort, le dealer. Par contre, son ex-femme, voila quelqu’un à éviter.

-Et puis, mon ami Mounir, ici, personne n’est juge. Fais-moi confiance. Et Mounir, mon ami a compris mon explication.
Voilà pourquoi, Madame la Directrice, Madame le Commandant, Mes capitaines, voilà ce qui justifie ma grève de la faim.

-Au fait, Mounir, qui dit que c’est un pointeur ?
-Les matons !
-Mounir, tu es mon ami et tu sais que je ne te mentirai jamais.

Faudra bien qu’un jour quelqu’un règle, à la prison de Nîmes, cette affaire de discrétion professionnel. Et son pendant : à qui sert la calomnie ? Et pourquoi faire ?

Me suis encore promené avec René-Jean qui est tout seul. Quand nous marchons ensemble, il coupe délibérément le trajet pour ne pas approcher des groupes. Il ne passe pas à moins de 5 mètres.
-Non, René-Jean, tu ne coupes pas le trajet. Tu marches près des gens assis, autrement ils croiront que tu as peur d’eux et que tu es vraiment un pointeur.

Avec Mounir, nous avons parlé de Dieu et de mon impression que j’étais placé là pour être une lumière de bonté et d’amour à donner à tous ces pauvres oubliés des hommes.
Et de Dieu.

Ce jour, salade verte sèche, extra-sèche. Ultra-séche. Ils voudraient le faire exprès, ils n’y arriveraient pas. Ce jour encore, frites belles mais huile rancie, plus machin de Mac Donald (hamburger) et salade de fruit.

Hier, 13,9 de tension. Ce jour, 9,8. Ainsi va la vie.

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