jeudi 28 juin 2012

Tout est mort ce 28 juin 2012*. Prison.


Dessins de René BOUSCHET (R&B).

Chère Marouska, 
                            ici, tout est mort, aussi, vous voudrez bien excuserez le papier. Suis en manque depuis samedi. Les enveloppes seront à chiner.

Aucun oiseau ne crie, dans cette Maison, sauf au matin. Puis ce seront les détenus. Mais pas les corbeaux. A chacun son tour. Mes Cévennes sont au loin. Ni arbre vivant, ni souche. Pas de forêt, encore moins de champignons. Pas de rivière ni de sources. Pas de chat, encore moins de chiens.Tout est mort. Même nous !

Tout est mort ? Non, une petite souris dans ma cellule bouffe mon armoire. Quelques temps plus tard, un con-con fini m'annonce triomphalement le zigouillage de notre petite amie qui ne faisait que préparer son nid pour de futurs souriceaux. La guillotine remise en prison. Par un cocon de détenu, bourreau de souris.
Tous les jours, vers 4 heures du matin elle nous réveillait, mais nous avait attendri.

La prison est absence de bruits en tendresse, de mots en affection, et de paroles en respect. Il en est ainsi de toutes les prisons ! Et pourtant, un seul endroit, l’infirmerie de Némausus en Gaule résiste.
-Monsieur ?
-Oui, Madame ? Comme c’est bon !

Aucun chant, puis bruits et fureur. Permanents. Sauf chez nos personnels médicaux... si ce n'est un petit, oh bien petit maton remplaçant à l’infirmerie, tête de boulon qui se protège derrière son bleu de travail de l’Administration pénitentiaire. Dehors, il raserait les murs.
-Mohammed, vient ici ! 
-Patrice, n'avancez pas !
Ce n’est qu’un aboyeur : un piano trois-quarts de gueule, quart de queue. Ou l'inverse ?

Ce gardien ne remplace pas le préposé en congés annuels, mais sévit à sa place. Paraît qu'il a des diplômes de Fac. Nous en avons froid dans le dos de la Faculté et aimerions connaître ses certificats d'indigence intellectuelle !
Assez parlé des cons qui ne comprennent pas que, pour être respecté... Et puis, dire :
-Monsieur, ça met de l’entregent et évite toute violence et insultes.

Notre bouffe est excellente (souligné dans le texte original !). Un mauvais point le 27 midi : salade verte, hamburgers, frittes (deux t ? Que nenni !), salade de fruits. Appétissant, surtout les frites, mais elles sentaient l’huile rance. Dommage. Et cette salade : dure et sèche. Comment font-ils ? Le font-ils exprès ? Ne savons, mais !

Notre quotidien est "semainial : lundi bibliothèque, mercredi draps à changer la quinzaine…
Il serait bon d’améliorer l’ordinaire du dimanche, le marquer pour en faire un jour important. C'est génial, non ? Bien sûr, il y a une part de gâteau sur-(sur)-gelé, des plats réchauffés, quand ils se peuvent, mais surtout des salades, et les salades qui traînent des heures, c'est comme les teen-âgés qui finissent par se durcir et faire des conneries. 

Et pas de douche le dimanche, ni d'activités, Dieu ne se lave pas le dimanche !

Imagine que tous les petits déjeuners sont : eau chaude sur chariot dans le couloir, poudre de café et lait plus une petite noisette de beurre. Pas de confiture, sauf dimanche et fériés. 
Noisette aussi, la confiture.

"I had a dream", oui ! J'avais rêvé que pour améliorer l’ordinaire, on nous servait du café, un bon café. A la chaussette. Avec de la chicorée, s’ils veulent. Même pas très bon. Mais du café, nom de Dieu ! Une odeur de café sur la prison !

Il flotte au vent, parfum café avec les drapeaux français et européens, notre caoua des grasses matinées. Oui ! Merveille des merveilles.
Comment va le chant, petite Marouska ? Faites-vous des récitals cet été ?

Encore merci pour votre gentillesse et bises,

                                                                      vôtre Gilles.

PS : Sommes incarcéré à mauvais droit, et n'avons pas honte d’être en prison pour deux gifles. Pour autre chose, ce serait du pareil au même. Et merde pour le roi de France et d'Angleterre !

Ndlr: cette lettre laisserait accroire que nous avons du bon café le dimanche. Non, quant au vin, la prison est en Ramadan perpétuel. Qu'on se le dise. (Autorisé: seul le hash cash).
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                                  LETTRE à ROLANDO LE 27-28 JUIN 2012. (Montre à Américo, Pierrot et Nono).

                                     Cher, cher ami, 
                                               merci pour ton mot. Je veux tout d’abord te rassurer. Ne sois pas triste. Tu me connais. Par contre, je ne me suis pas trompé : je t’avais dit que, menteuse comme elle est, elle me jetterait en prison.
Je n’ai besoin de rien, ici. On est logé, nourri, lavé à l’œil. Même la belette. Et on a des préservatifs. Je te jure. Pour  quoi faire ? Imagine.

Ici, il y a un vieux plus jeune que toi (82 ans) qu’ils maintiennent en taule. Faut croire que c’est Al-Qaïda. Ancien para, décoré, Indochine, sourd, diabète, problème grave aux yeux, le type qui a toujours dit :
-Oui, mon Capitaine ! 
Il n’a pas dû comprendre la question du juge et a dit :
 -Oui, Monsieur le Président ! 
En taule ! Il est comme toi, ou pire. Il ne sort jamais, se traîne pour aller à l'infirmerie. N’a plus de dents. On lui attribue une autre bouffe qu’aux autres, améliorée, certes… mais on arrive même à la lui voler, l'échanger !


En ce qui concerne Nono, interdit lui de toucher la bouteille. Un pastis, c'est tout. Qu’il sirote et participe à l’écot commun. Faute de quoi...
Les perspectives de libération anticipée, je n’y crois pas. Le substitut ne m’aime pas, le Proc va finir par me détester. Ce n’est pas de la justice. C’est de la vengeance. De la justice de petits bras.

Pour ce qui est de la Normandie, on ira avant tes 85 ans. Après, je t’amènerai à la Jonquera pour une petite pipe. N’en parle pas à tes gosses.

En ce qui concerne tes fautes d’orthographe, le cœur ne les compte jamais !

Si tu vois Pat, celle qui a les deux petits chiens, pour rigoler, dis-lui :
-Je suis inquiet. Je n’ai plus de nouvelles de Gilles. En auriez-vous, Madame…
Çà te fera rigoler. Et te consolera de la connerie humaine.
Et viva la muerte. Puisse cette lettre te rassurer sur mon pauvre sort.

PS : tu ne crois pas en Dieu, mais je crois que Dieu m’a envoyé en prison pour amener une lueur d’espoir, de bonté, d’intelligence et de grâce à mes amis détenus. En attendant, si tu veux te trouver une vieille à ton goût, suis les préceptes de ton gentil Gillou :
-Dimanche, sur ton Trente-et-un, va à la messe mater discrètement les culs. Surtout, ne sois pas trop vieille France. Pas trop de Madame-ci, Madame-çà, mes hommages…
En effet, comme on dit : trop poli pour être honnête !

Bisous, mon petit papa d’adoption, et fais gaffe à Nono pour le Pastis. Gilles.
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Séraphin a pris ses somnifères à 20h30 (au lieu de 16h30) pour suivre le match Espagne-Portugal. Je me suis longuement caressé pour essayer de me réaliser. Résultat NUL.
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De ma petite Maison d'Arrêts de Némausus, le 28 juin 2012. Merci, petit substitut. Et faites moi procès!

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