dimanche 24 juin 2012

En grève de la faim !*


Illustration de René BOUSCHET.

Dimanche 24 juin 2012.
  
7heures 30. Petit déjeuner servi (eau chaude au matin dans le couloir, sur charriot). 

J’ai donné deux crèmes et du café à Mounir, un jeune marocain, très jeune et très basané. Ce sera, à n’en pas douter, mon ami. Je le sais ! Seul Dany est au service..

Question délicate : comment les détenus savent-ils qu’un tel ou un autre est un pointeur ? Suis-je moi aussi déclaré pointeur, parce qu’à l’étage des-dits ? Faut voir. Et savoir !
-Une cellule, seul ? C’est la loi ? Nous n’avons pas. Non fumeur ?… Cela ne vous fait rien si je vous mets avec des pointeurs ? dit le capitaine.

En promenade, hier, j’ai rencontré Xavier qui fait partie des Indignés. Super intéressant, se plaint des déficiences de son niveau scolaire. Intelligent, militant, cultivé en diable, une rhétorique extraordinaire, un dialecticien. 
Quel plaisir de le rencontrer. Je lui conseille d’écrire pour ne pas perdre l’histoire du mouvement, les avancées des idées, les noms des participants actifs, faute de quoi, c’est à nouveau une bibliothèque brûlée. Alors, ce mouvement ne serait qu’une jacquerie.

Mal dormi à cause de douleurs musculaires. Hier, avec mon copain l’Indigné, avons suggéré à un type solitaire en cour de se doucher et de se laver les dents, d’être présentable et de ne pas faire cas des provocations. Tous le traitent de pointeur.

Michaël mon colocataire porte un bob blanc en promenade. Cela lui va bien. Ce jour, je cours encore, éperdu, nu-pieds. J’aime çà.
Ce soir, nouvelle faiblesse. Ma course est handicapée. Fatigue générale incompréhensible. Pourtant, la prison me va bien au teint. J’ai les cheveux plaqués en arrière, je me trouve beau, me sens bien. J’ai un peu maigri. Je n’ai plus cette amertume désagréable dans la bouche.

Même jour un huissier en prison…

Rencontré un huissier en prison. Cela ne me rassure ni ne me fait plaisir. Est-il huissier ? Est-ce important ? Des caillebotis interdits par la Cour européenne sont aux fenêtres.

La Maison d’Arrêt pour les prévenus, les « appelants », les mis à disposition de la Justice ne prépare pas à des ajustements de peine. Le CD (Centre de Détention) : Prisonniers condamnés à de petites peines prépare à la réinsertion et met en place des réductions de peine.

Pour les grosses peines, ce sont les ……….

                                         _______________

Les caillebotis aux fenêtres mesurent environ 3cm sur 3,5cm. Procureur et Jap doivent passer régulièrement et signaler leurs permanences. Peut-être !!!
Ce jour, on m’a refusé le dessert que je voulais offrir à Mounir :
-Tu fais la grève de la faim…
Akim et mon Pote (qui est bien colère contre moi) me punissent : ils me protégeaient, m’offraient plus qu’aux autres pour faire plaisir à ma fille. Ils se disent floués par ma grève de la faim. Pour me faire chier, mon Pote me dit que Julie est au courant. Ce qui est faux, je le saurai plus tard.

Daniel, le gentil boxeur a fait une grosse connerie qui l'a mené en prison. Merde ! Faudra qu'il paie.
Pour l’ennuyer, je dis à mon Pote qu’en me refusant ce dessert, il m’encourage à continuer la grève.
-Et, quand tu es parti là-dedans, difficile d’arrêter. C’est une folie. Tu comprends ?

Aujourd’hui, contrôle des cartes. Belle gardienne. A mon goût. Et salaud de Michaël qui lui a dit un jour que j’étais en promenade :
-Madame, mon codétenu est raide dingue de vous.
Depuis, elle n’ose plus me regarder dans les yeux. Puis, une fois, elle m’a dit que je devais mettre un vrai pantalon. Pas un pyjama :
-Mais, Madame, un pyjama n’a pas de poche. Celui-ci en a deux, mais, il est vrai qu’avec le pantalon de mitron que je porte (marron raté strié de fines rayures marron et noir) je n’avais pas compris qu’aucune belle dame ne tomberait jamais amoureuse de moi!

Me suis coupé avec le verrou, ce matin. Faut savoir que lorsque le gardien t’ouvre, il redonne un tour de clef, porte ouverte, et le penne dépasse. C’est une de leurs mesures de sécurité, pour éviter de se faire enfermer par un détenu malintentionné.
Cet après-midi, ai pris 2 dolipranes pour mes douleurs musculaires.

Même dimanche 24 juin… Les sanglots longs de l’été monotone…

24 juin 2012. Et si j’arrêtais ma grève de la faim ? Attendre le lendemain. Continuer ? Pour quoi faire ?
Me refuser mes plats comptabilisés par l’Administration est un délit. On ne doit pas encourager un gréviste de la faim ou l’y contraindre.
Je ne ferai pas chier Daniel et mon Pote mais je leur dirai qu’ils sont des délinquants. 
Salopards. Ils gardent ainsi ma part. Comme c’est moi qui leur signifierai ce grave manquement à la loi, cela les ennuiera. Rien qu’à voir leurs yeux incrédules, genre :
- Gillou, tu te foutrais pas un peu de nous? 
-Non Dédé, non Dany. C’est puni par la loi !

Antoine, le solitaire, va mieux. Mais, toujours seul. Il était propre ce matin. Manque les dents à récurer.
Irons en promenade, avec Monsieur Michaël. Avons décidé de nous tutoyer mais, à chaque rencontre de nous vouvoyer et de nous donner du « Monsieur » ! Quel plaisir.

Ils ne m’ont pas mis en prison. Mais en grève. Et en colère! Pour une dent, la gueule. C’est la loi d’Al Capone, ici en Maison d’Arrêt, la vengeresse, la salope.
La Télé a sauté. C’est grave. Ma belle gardienne a remis en marche.
Mon jeûne doit se rompre un jour. Si on veut me le faire interrompre, il suffit de me laisser de la nourriture dans mon écuelle, peu par peu. Je ne suis pas jeune. Mais jeuneur. Cette idée me plaît. Pourquoi ? Va savoir.

Pour rigoler avec Michaël, on dit qu’on est un jeune couple, dont l’un jeûne et l’autre l’est. En pleine lune de miel. Qu’on ne peut consommer ni l’un ni l’autre ! C’est évident.
Mon beau Dany, mon neveu m’a donné mon dessert. Royal Dany, tu es. Je le donnerai à Mounir demain.

J’ai fait une lettre au Procureur pour un vieux des Salins du Midi qui aura obtenu le bracelet électronique : 8 mois à faire, mais çà bloque. Et puis, c’est son problème. Une lettre pour régler une situation. Ou la dérégler ? Va savoir. Quand, les choses ne vont pas en prison, c’est toujours grave. Pas d’urgence en zonzon. Viens voir, et tu verras.

Un capitaine de service me dit :
-Votre grève est bête ! Réponse :
-Même la vie est un combat sans espoir. La preuve, on meurt. 
A-t’il compris cette bonne belle saillie philosophique ? Rien n’est moins sûr ! En Prison, on ne parle pas de traits, de remarque : un seul mot à l’honneur, la saillie !

Je me suis découvert un hématome près du sein gauche. Grosseur d’une pièce se 0,1 euro. J’ai demandé du papier à lettre. Et signalé que ma savonnette sentait la merde. Faut attendre demain.

Ils m’ont foutu en grève, et donc je suis leur indigent. La belle affaire.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire