mardi 20 août 2013

La fatigue nous sied bien* !


Le fatigué. Ou l’indéfroissable. 

Dans nos belles Cévennes, comme le dit si bien Michel, le maçon-linguiste de la vallée de Valleraugue (petite localité pleine de charme au pied du Mont Aigoual, région la plus arrosée de France), nous avons des mots savoureux bien particuliers comme par exemple…
-Le réboussier ? J’en ai déjà parlé. Tu dis blanc, il te répond noir.
-Oui, l'empêcheur de virer en rond qui te fait tourner en bourrique. Ici, on dit vire que tu vires.
-Il a son utilité pour te faire réfléchir et aller plus loin.
 
-Et le voisin qui fait la gueule sans que tu n’aies rien fait pour le mériter, on le nomme comment ?
-Celui qui te regarde comme une crotte de chien ? Comme un ci-devant noble toisait ses métayers ?
-Le type qui au regard d’allumé complètement éteint quand bien même il te voit comme si tu n’existais pas.
-Comment on l’appelle ? Comment t’appelles-tu déjà...
-Michel. Toi, c’est bien Gilles, hein ?

Michel est ce gentil voiturier qui a eu la gentillesse, que dis-je la délicatesse, disons-même l’amabilité de ne pas me laisser en rade à Pont d’Hérault pour aller au marché du Vigan ce samedi 10 août. L’intelligence, oui. Et qui a permis cette réflexion profonde à deux inconnus qui se sont rencontrés par l’effet du hasard et du stop qui fait bien les choses. Oui. Le stop.
Et, louons encore la générosité insigne qu’il a eu de vouloir m’offrir un café aux « Cévennes » avant que d'aller faire son loto…
-Mais, si. Mais, si. J’y tiens, ce café qui ne pouvait se refuser. Ne fâchons personne, Michel encore moins.

Je dois signaler que je soupçonne cet individu d’être méfiant pour n’avoir pas voulu me révéler ses numéros fétiches. Pourtant, je lui avais proposé de composer sa grille de Loto avant le café, et peut-être même ne voulait-il pas que je connaisse la somme qu’il comptait parier ? 
Ce type doit être accro aux jeux d’argent. Ah ! Vous remarquez comme je suis perspicace ? Cela embellit ma vie, et celle des autres, cette connaissance fine des hommes et de leurs petits travers.
-Je ferai mon Loto après, me dit-il.

Revenons, si vous le voulez bien à ces allumés-éteints qui fatiguent.
-On dit de ces personnes froissées qui font la gueule en permanence, qu’elles sont fatiguées.
-Au Vigan, ont dit pareil. Il y a longtemps que je n’avais pas entendu ce terme.
-Tu remarqueras que l’adverbe devant, importe aussi. Très fatigué n’est pas un peu. Fatigué, on l’est tous mais, bien fatigué a une connotation touchant à l’impossibilité à communiquer, à la bêtise, l’imbécilité, la connerie et parfois la folie légère pénible, pour le voisinage.
-D’accord, mais la fatigue et l’alcool vont de pair aussi, non ?

-Tout à fait. Si je dis que je suis fatigué, le sens normal s’impose. Mais, si je rajoute que j’ai fait la noce et j’ai été bien fatigué, cela signifie que je me suis bien alcoolisé.
-C’est vrai. Par exemple, on ne dira pas de François Hollande qu’il est fatigué, même s'il n'est pas tenu de trop se fouler et, parce qu’il semble être tempérant n’a pas une tête de boute-en-train à s’encanailler et se pochtronner. 

-Il peut même m’éviter à la garden-party du 14 juillet. Pour la Légion d’Honneur, comme il ne me connait pas, il peut même m'éviter. Rien que de très normal, et on s'en fout. Le Président de la République a bien le droit de faire semblant d’être très fatigué, quand même, non ?

-Oui, mais non. Pas tout à fait car, si tu étais Jean-Marc Ayrault ou Madame Royal… pardon ? mais je sais que tu n’es pas Ségolène, ce n'est que pour l’exemple et donc, s’il te faisait la gueule sans raison, comme à Manuel Vals qui commence sérieusement à le gonfler, on pourrait dire qu’il est un peu fatigué. Mais, il y a un mais !
-Oui. La chose serait ici d’importance. Et la France ne supporterait pas cet état de fatigue réelle.
-Oui mais, si Hollande faisait la gueule à Manuel Vals, son ministre de l’Intérieur sarkozyste qui commence sérieusement à le gonfler, on pourrait dire que Manuel fatigue la Présidence de la République en général, le Parti Socialiste dans sa large majorité et François Hollande en particulier. Tu saisis la différence entre fatigue et fatigue, non ? Il ne s'agit pas ici de faire la gueule gracieusement.
-Il est vrai que la fatigue se sent et qu’elle est difficile à endurer. Parce que les relations du voisinage ou familiales deviennent tant délicates qu’elles pourrissent la vie de tous.

-Tu penses Michel que le fatigué est un agressif ingérable ?
-Pas du tout. Il ne fait que t’éviter et tu en fais de même. Ainsi, point de rencontres à frictions.
-Existe-t-il un remède à la fatigue ?
-Ben, non parce qu’elle n’est jamais aigüe mais dure, dure, parfois toute une vie. Les raisons se perdent dans le temps. Le fatigué n’a plus souvenance du pourquoi de sa gueule. Mais, il sait qu’il en a de réelles et sérieuses parce que s’il n’en avait, il se saurait fou. Et, comme il ne l’est pas…. enfin, on l’espère. Et puis, la fatigue peut se transmettre par héritage à ses enfants qui continueront la gueule.
-Chez-moi, on dit aussi faire la bèbe. Je ne sais pas comment ça s’écrit.

-Et comment est perçu le fatigué par l’entourage ?
-On constate, on hausse les épaules, on n’en parle plus et on en fait cas comme d’une merde de chien à éviter. A ne surtout pas inviter sachant qu’il ne répondra même pas à ta gentillesse. Et plus tu le rencontres et plus il t’évite, et plus il a la haine de toi.
-Il est vrai aussi que l’entourage peut l’avoir fatigué, non ?
-Oui. Dans ce cas, on ne sait que faire, sauf à attendre que cela passe et que le fatigué ne se défroisse de lui-même. Mais le cas est rare, désespérant car le fatigué n’attend pas d’excuse de qui que ce soit. Et ne justifie jamais sa fatigue.

-Et moi, tu me trouves fatigué ?
-Non. Pourquoi ? Pour être fatigué, il faut se connaître puis se méconnaître. Le pire des fatigué est celui qui ne t’a jamais connu et sa fatigue peut être engendrée par le racisme, la jalousie, la peur ou par des racontars, des on-dit, la rumeur publique, l’invérifiable.
-Donc, un fatigué c’est celui qui se fait sourd-muet et aveugle.
-Bien évidemment puisqu’il t’évite, ne répond pas à ton salut, te regarde sans te voir. Pire, il ne dit même pas du mal de toi. 
Par contre, tu peux crever la gueule ouverte, et là, sur le chemin, il t’évite pour ne pas se salir les souliers, et tu n’existes pas pour lui.
-Tu crois que le fatigué irait jusque-là ? Et qu’il est fier de sa connerie ?
-Non. Il irait plus loin s’il n’avait pas peur des retombées mais, sais-tu qu'elle est la seule chose qu’il ferait pour te dire combien il aime que tu sois son égal humain, son frère ? C’est la tête, la gueule, son savoir-faire, son seul art de vivre ! Faire la gueule, et de s'y complaire, comme dans sa bauge.

Mais le plus incompréhensible est lorsque tu n’y es pour rien dans la fâcherie du bien fatigué.
-C’est vrai que certains se froissent sans raison, pour ne pas dévoiler leur insignifiance.

-Eh, bien, dis donc Michel, des fatigués, j’en croise à la pelle chez-nous, en Cévennes. Des boit sans soif, des qui travaillent du chapeau, des bêtes comme leurs pieds, ou à manger du foin. Nonobstant tous jaloux, peureux, raciste, imbécile, qui t’évitent sans raison.
-Oui. La fatigue vient vite à qui la mérite.
-Faudrait appeler tous ces types "les obligés de la bêtise humaine" qui tend vers l’infinie petitesse. Des types qui s’efforcent à ne pas te regarder pour éviter la rencontre, t’empêcher de les saluer bien civilement comme il se doit, en fermant toutes portes à la communication. La gueule… faut voir !

-Voir la tête qu'ils se font ? Mais, oui, bien obligés de faire la gueule. S’ils te souriaient, ils s’embelliraient pour permettre la rencontre. Parce que la rencontre est toujours un beau moment de deux belles personnes. Mais, faire cette gueule froissée de fatigué si caractéristique sied à leur animalité, crois-moi !

-Je connais même deux types au Vigan qui, depuis 1956, font tout pour éviter de me saluer et répondre à mon salut. Imagine l’intelligence et les stratagèmes qu’ils déploient pour ne pas croiser mon chemin et mon regard. Quelle énergie utilisée pour faire la gueule. 56 ans de connerie, faut être d’une constance. Tiens, Michel : voilà le mot qui me manquait, la constance.

-Saluons la constance de ces froissés indéfroissables. La connerie pérennisée, ouais, Michel.
-Je parie qu’ils t’ont fatigué, non ?
-Non. Mais, si tu voyais leur groin d’animal. Pas envie de les embrasser avec la gueule qu’ils font. Beurk ! Surtout les filles fatiguées.
-Il y en aurait de par chez-toi ?
-Devine, mon pote. Devine.

De mon café des Cévennes ce mardi 20 août, an de Grâce 2013. Et soyez prudents sur la route. Gardons nos distances, s’il vous plaît (1)… nous vivrons plus longtemps et moins agressifs.

(1) sur la route, s’entend. Et ne nous faisons pas la gueule non plus. Personne ne le mérite.

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