mercredi 1 janvier 2014

Le charme de ma mère* - 1


Dessin de Farid BENYAA
Disons, pour faire simple, que ce petit texte est cadeau de Noël pour ma fi-fille.
                   ___________

Sais-tu, ma belle Julie, que le seul rapport de ta grand-mère, Fatima à la beauté de la nature se réduisait aux fleurs que cultivait Dora ? 

Oui, sans oublier les légumes du souquessou, toutes poules, œufs, et autres collier de mouton, joues de bœuf et tous pois-chiches. Et l’olive.

Parce que toute la vie de ma mère ne se résumait qu’à son dernier-né, de plaisir en gavage, et puis basta.
Ajoutez-y Poussinet, que vous prononcerez en langage-maman : Poussinette, le chat angora. Un monstre.
Alors, oser imaginer mémé Fatima se penchant sur une fleur pour la humer, à l’impossible nul n’est tenu.

- Même sur ta tombe, pas de fleurs, maman ?
- Allez, va ! Va emmerder quelqu’un d’autre !
Voyez comme maman Fatima connaissait bien son dernier né, son amazouz, le chéri, quoi !
Et, c’est pourquoi, cueillir une fleur m’a toujours semblé un plaisir curieux, voire malsain et grossier.

- Gilles, tu voulais nous entretenir du charme de mémé, n’est-ce pas ? 

Oui, ma mère au délicat charme de cyclamen. Pourtant, nonobstant elle disparue, qui pourrait me dire pourquoi les fleurs me ramènent à des souvenirs douloureux, toujours poignants ?
Oui, et comme au détour des pages d’un livre où la seule évocation d’un parfum vous arrête, tel pointer face à l’oiselle transie dans son roncier. Oh, mais surtout, surtout ne bouge ni ne t’envole, petite. Alors, paupières closes, page marquée d’un doigt, on cherche... On cherche...

Mais quoi donc ? Puis, le souvenir tâtonne, se concentre pour raccrocher le fil du temps des tristesses nostalgiques, ces bonbons acidulés.
Alors, votre respiration lente s’économise comme pour ne pas souffler la bougie, ne pas affoler ce plaisir doux-amer et qu’il dure quelques instants de plus et vous permette de redevenir celui que vous étiez jadis. Et puis...
Et puis, le froid vous saisit, et vous reprenez le fil du récit à cette fleur des souvenirs.

- J’aime cette image des souvenirs et de mémé Fatima…
C’est exact ! Ma mère, les lilas et cette fragrance tenue si fugace de violette, parfum perdu de la femme aimée. Alors, vous cherchez dans la foule : mais, où es-tu ? 

Là-bas, une silhouette ! Vous priez. Elle se retourne… mais non, ce n’est pas elle. Et cette lettre retrouvée, et encore toute parfumée, et ces mots décolorés écrits à l’encre passée des feutres violets sans ces pleins et déliés, quand l’adorée vous refusait déjà toutes les nuances de la vie, alors... 
Alors la souvenance ne se peut plus retrouver en ses chagrins tranquilles aux affolements d’allégresse, et vous voilà perdu.

Et, si la vie ne se définissait que par ce mal scellé en mémoire pour seule réalité ? Et qu’importent les amours présentes et à venir tant qu’il reste nos passions d’antan, ces amours perdues qui nous fondent ?
Ah, pouvoir crier, ne serait-ce qu’une seule fois :
- Mais moi, j’ai aimé… j’ai été adoré !
Alors, nos mots-fleurs des nostalgies organisent, au détour des pages d’un livre, le jardin des amours qui n’existe que par le souvenir, mots qui ne se conjugue ni au présent, ni au futur, ni en quelque réalité que ce soit.
Parce que rien n’affirme l’amour où, seule, l’irréalité du discours du souvenir fait foi du vécu de nos désirs et de la certitude de nos passions incertaines :
- ... nous nous sommes tant  aimés.
Mais alors, dire je t’aime, est-ce encore aimer ? Ou simplement signifier la réalité des amours ? Ou leur fin ? En attendant, il conviendrait de dire :
- Nous nous étions tant aimés…

Le charme de ma mère se continue...
 

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire