jeudi 2 janvier 2014

Le charme de ma mère* - 2


- Gilou, sois gentil. Si tu nous parlais du charme de ta mère, parce que moi, l’amour !...

Je me demandais : et si l’amour ne se résumait qu’au culte du souvenir des amours enfuies ?

Ah, Fatima au charme de bleuet, maman... Rien que d’y penser, je me sens tout chose. Oh, oui… 

Ma première violette se cachait aimable et timide dans les ombrages du Bois Sacré, voila pourquoi, ce premier parfum discret, je le retrouve toujours sur les lèvres de l’aimée qui aura mangé des mûres.
Aussi, s'il vous plaît, point de bouquet de violettes : une seule fleur suffit. Ne la ramassez pas, sous peine que son parfum ne dépérisse aussitôt. Tout comme l’amour trop mal ou trop vite cueillie.

- Ah, Papa, parle-moi de grand-mère et de son charme berbère.
-Attends, attends ! Que dirais-tu des iris de Dora dont ta mémé aimait caresser le velours en passant puis, derrière les frênes et les eucalyptus de la Mission, il me faudra te présenter l’inutile qui ne se peut ni ramasser, ni se tresser, ni s’exhiber à la vahiné ou en rosette, qui ne sent pas, n’est pas beau et qui tant abonde dans les champs qu’on les dirait ensemencés de la main de l’homme.

Pardon ? Mais, tu as reconnu l’irrespectueux tout de rouge vêtu, cheveux en bataille et débraillé à la mode de celui qui n’aurait qu’une chemise de sans-culotte révolutionnaire. Couleur ? Ben, cette blague ! Rouge, voyons ! C’est le coquelicot qui ne peut jamais se passer du bleuet.

Le coquelicot à nul autre pareil, tant éclaboussé des soleils de feu et des ombres fraiches des monts et canyons kabyles, si perdu dans les blés, ces ors brûlés ondulants à la brise de chaleur, ce rouge qui s’oppose fermement au vert des chênes-lièges dans le lointain et qui finit par adoucir le rouge-brique des argiles. 
Aussi, dès le matin, lorsque la vie s’anime sous ce ciel bleu-de-France chauffé à blanc qui vire pastel décoloré, là-bas, lentement, en des plans successifs, au fil des heures, le coquelicot perdra peu à peu ses couleurs rouges unicolores dans le flou des lointains.

Alors, j'imagine notre artiste un peu dérangé, ivre d’avoir trop abusé de couleurs, égayer ce petit pays des noir-blanc-rouge de cigognes, mariant de la légère touche d'un joli bleuet tout simplement pour s'amuser à nous offrir la plus belle des peintures du monde, après les Cévennes, comme de bien entendu.

Et, la voilà mon enfance heureuse retrouvée par le coquelicot, le bleuet et la violette.
- C’est beau, la violette, les coquelicots, les cigognes, mais…
Tu as raison, j’oubliais que le coquelicot, en fleur-papillon aime se poser sur les blés. Et puis, regarde-le qui ne passe jamais inaperçu. C’est beau, hein, ce rouge qui se permet de mettre en valeur toutes fleurs., c'est beau, non ?

- Et si, Gilou, tu nous parlais du charme de Fatima, ta mère ?
Ah, oui… ma mère n’a jamais aimé que les roses, seules fleurs à forcer sa porte. Pourquoi ? C’est un des charmes de ma mère d’avoir refusé d’expliquer l’évidence de sa passion pour les roses.
- C’est la ville, mon fils, c’est la ville. (Trad: C’est la vie, mon fils).
Peut-être que le héros de ma mère, Ali le gendre du prophète aimait les roses ? On ne sait !

Ah, si le coquelicot avait voulu se faire rose, cette fleur-femme qui ne ressemble à aucune autre, ni par la robe et les couleurs, les formes, la beauté dans son monde tout parfumé qui... pardon ?

- Dis, Gilou !
- Oui, oui ! Minute, Julie ! J’y arrive au charme de ma mère.

Avais-je déjà signalé que mes émois juvéniles ne se pouvaient s’abstraire de la littérature ? Par exemple, j’ai souvenance d’un mot, assavoir la charmille, cette bizarrerie qui m’a longtemps interloqué, tant il semblait recéler de passion. Ce n’est qu’assez tard que j’ai découvert, dans le Petit-Larousse, le charme.
Ici, charmille, charme et sortilèges se confondent dans l’ambiguïté des récits d’amour.

Les romanciers nous saoulent de charmilles et de charme des gentilhommières du 19ème siècle que l’on découvre nichées au creux galant de la littérature, comme si l’auteur, par le sortilège de l’écriture, m’obligeait à devenir le héros du roman. Et, pourquoi pas? 
Aussi, malheur si son imagination n’était pas à la hauteur de la mienne car, alors…

… car, alors, je laisserais tomber  son livre, m’extrairais de mon transat pour me porter au devant de ma bien-aimée qui s’élancerait dans l’allée pour venir blottir son visage dans le creux de mon épaule, et se serrait à jamais en mes bras, là-bas, sous la charmille, succombant à mon charme. 
Et, mon livre ne m’intéresse plus.

Tant pis, monsieur l’écrivain. Votre roman était nul !

Mais, que Fanny, la Violettera veuille ne point trop abuser des fragrances des violettes nostalgiques ; encore moins succomber au charme de la charmille ; quant au coquelicot ? Qu’il barbouille toujours de rouge nos superbes paysages ensoleillés, en fleur-enfant.

- Attends, papa-mon-pinson, à quel moment parles-tu du charme de ta mère ?
- Ben, le charme de ma mère ? Mais c’est moi, hé, ma jolie !

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