mardi 25 mars 2014

Se mettre aux échecs* !



Aujourd’hui, mêlons-nous d'échecs, voulez-vous? 

Parce que mon partenaire m’a fait défaut, que nous sommes seuls, vous, tanguant d’un pied sur l’autre dans ce parc ombragé des Châtaigniers et moi, assis devant mon échiquier de voyage, pièces disposées, prêt à jouer… 
... oui vous, vous balançant, en attente et moi.

Mais quoi ? Je lève les yeux vers vous :
-Voulez-vous… juste pour une partie ?
-Non, merci. Je ne connais que le déplacement des pièces, mais j’aime bien regarder !
-Vous ne voulez vraiment pas vous asseoir ? Choisissez les blancs !… les noirs ?
Non ! Aussi, ne pouvant différer, ni vous, immobile, ni moi, pensif : la partie ne peut attendre quelque hypothétique adversaire, l’air devenant électrique, la tension palpable, le temps filant trop vite, et l'immobilité nous figerait dans la mort. Il faut donc jouer en rappel, accrochés à la vie.

Que diantre : engageons la partie ! Premier coup, deux pions au centre, en dégagement. "Pardon... cela ne se fait plus ? Qu'à cela ne tienne, Monsieur !" puis je retourne l’échiquier et prendre les noirs. J’essaie de surprendre votre regard pour y déceler quelque lueur. Ah, si vous pouviez vous intéresser au jeu. 
Mais, non. Alliez-vous me proposer une suggestion de stratégie… Non ? Pourtant, vous participez en silence, je le sens.
Et si je lançais un coup qu’aucun mauvais débutant ne ferait ? L’attaque au cheval sans ouvrir au roi ? Non. Vous verriez le piège que je vous tends. Jouons les noirs en petit débutant et vous faire croire que je suis à votre niveau. Allons aux diagonales classiques. Essayons toujours.

Prendriez-vous la place offerte pour partager un petit moment de ma vie ? Il vous suffirait de vous asseoir sans perdre des yeux l’échiquier qui vous fascine. Non plus ?... toujours pas? Tant pis pour vous si je vous prends la place vide, toujours prenable. Ouvrons la diagonale aux  fous.
Vous auriez préféré dégager le roi ? Oui, mais il vous suffisait de vous asseoir, d’engager le jeu !
Vous ne pouvez espérer que je joue les coups que vous avez en tête. Dites, parlez et vous serez obligé de vous asseoir. Voilà pourquoi vous êtes mutique.

La diagonale des fous noirs pour bloquer la tour blanche et l’attaquer.  Doit-on protéger le pion en perdant l’avantage tactique ? A-t-on le temps de manoeuvrer en défense ? Oui… Gardons le coup d'avance des blancs pour contraindre le plus longtemps possible les noirs à la défense et surtout qu'ils ne puissent passer à l'attaque et réorganiser le déroulement du jeu. 
Luttant seul contre moi-même, je poursuit la partie. Je suis mon propre adversaire, et il me faut impérativement me surprendre, en Maître. Je ne suis pas sans ressource en défense et redouté à l'attaque.
La partie engagée doit se poursuivre. C’est l’honneur du joueur d’échec d’aller au bout, même seul contre soi-même, à la victoire ou au pat, en dernier sauvetage. Une partie de fou. De fou comme dans la vie. En diagonale !

Il m'observe toujours... Mince, le roi blanc en échec. Comment ai-je pu me faire avoir par moi-même ? Si je faisais comme si de rien n'était ? Tricher, oui, mais contre soi-même, ce n'est que véniel. Est-ce qu'il remarquera ?
Et puis, comme dans la vie, satisfaisons-nous de nous-même !
Déplaçons notre reine blanche. Jouons le coup pour mettre en échec les noirs. 
Echec et mat !...
-Belle partie mais difficile !
-Oui. Un coup de maître ! Vraiment, reconnaissons-le !
Tiens, le petit monsieur n'est pas muet. Je croyais. Mais, se moquerait-il de moi?  Aurait-il vu la tricherie ?  

-Par contre, je n'ai pas bien compris le coup précédent, Monsieur...
Ah, bon ? Je me serais fourvoyé, triché même. Eh, alors ?
-Une erreur de jeu... vous-en êtes certain ? Les noirs devaient gagner ?
Eh, alors, ni juge, ni arbitre, ni joueur, de quoi se mêle ce petit Monsieur qui refuse de s'engager ?
-Ah, bon !... Si vous le dites !
J'ai triché... et alors ? Contre moi-même ? On s'en fout ! 

-Tricher avec la vie, comme aux échecs, le ferais-tu Gilou ? 
-Oui. Pousser à l'extrême, au risque de la perdre ?... Oui, Fanny !
-Tricher, ce n'est pas de jeu, pas moral !
-Moi, la vie, je suis capable de la jouer au sort, la vie. A la perdre s'il le faut.
-C'est vrai, Gilou... aimer la vie, la jouer, tout absurde qu'elle soit. On ne peut pas aimer la vie si on n’aime jouer avec elle.
-Parfaitement vrai, Fanny, et jouer avec les coups du sort qu’elle nous envoie, quel pied !
Voyez comme j’ai la chance d’avoir misé sur Fanny pour jouer avec moi.

La vie n’est pas ce jeu du solitaire ni des réussites.  Le jeu de la vie suppose l’adversité pour se battre soi-même, se surmonter, se surprendre agréablement toujours en tendant vers d’impossible records, toujours à la gagne, en acceptant le cours du jeu pour ne finir par ne gagner que l’estime de soi.

Et si vivre ne consistait qu’à s’engager dans une partie qui ne finit qu'en échec ? 
Moi, j'ai décidé une seule chose, même s'il me fallait tricher, oui j'ai décidé de vivre ma vie en la racontant, pour la vivre en mieux, de façon plus intense en décideur des hasards et lui donner tout son sens. 
Parce que j'aime pour mon propre plaisir redessiner ma vie, même à tricher. Mais, quel pied. Pour lui donner la saveur qu’elle n’a pas toujours, se fabriquer des souvenir à sa convenance, vivre de façon plus intense en décidant à la place du hasard… Oui, et ainsi, mieux l'accepter. 

Quoiqu'il en soit, la vie se finit toujours en échec, et le cheik est toujours mat, mort.
En attendant, acceptons les échecs du jeu. A la vie, à la mort !
Ecrire nôtre vie pour l'embellir et ainsi la magnifier, c'est aussi la vivre en mieux!

PS: et, comme dit Pierrot :  
-Si je te comprends bien, la vie nous fait tous cocus, comme dans les histoires d'amour qui, toutes commencent si bien mais qui, malheureusement, finissent toutes si tragiquement..
 

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