mardi 2 décembre 2014

Le Crocodile de l'Arboretum*.


Il était une fois un Crocodile en Cévennes qui, par extraordinaire sortit pour une seule et unique fois du bois et non du marigot, de la rivière ou de la mer. La chose, réputée impossible me fut contée par une belle inconnue et servi le plus sérieusement du monde lors d'une exposition de peinture et de sculpture. 

-J'aime beaucoup ce tableau.
Nous étions en arrêt sur une toile qui ne payait pas de mine.
-Moi aussi j'aime les coloris glissés dans ces bleus tout comme cette  touche de pinceau en brouillard sur les arbres. Quelle légèreté.
-Oui... et ces contours qui émergent lentement des brumes. Notez encore ce pâle halo des soleils d'automne. Quel rendu !
-Oui, oui, la brume, le discret soleil et ce paysage d'une tristesse infinie. Que de beautés !
Sous le tableau était écrit : "l’autre début du monde".

-D'évidence, ce bosquet et ce talweg boisés... et, voyez, en s'éloignant du tableau comme ces bleus-noir accrochés au fond du vallon font vibrer la toile. Mais, comme tout cela est étrange !
Puis, la dame a semblé appréhender autrement les couleurs en reliant entre-elles les petites touches de pinceau et une femme nue surgit de la toile.
Personne n’a rougi, encore moins fait de commentaire, si ce n’est un :
-Je comprends pourquoi j’aime ce tableau.
-Oui. Une toile «intimiste». Très.

-Tiens. En parlant de bosquet et de bois, il faut que je vous conte… Et, le regard encore perdu dans notre tableau, elle prit plaisir à me surprendre par l'incroyable histoire d'un crocodile venu du bois, m'affirmant que tout s'était déroulé tel que dit : 

-Un jour que nous faisions une exposition d’art africain, un des deux artistes invités fit venir par camion de la forêt de l’Aigoual un tronc d’arbre énorme. Puis, à grands coup de hache, au début, d’herminette ensuite et pour finir par la gouge et le ciseau, il se mit à tirer de la masse une forme qui commençait à ressembler, jour après jour, à un crocodile, crocodile qu'il enduisait au fur et à mesure d'un mélange d'eau et d'argile verte. 
Impressionnant ! Certains ne venaient à l’expo que pour voir travailler l'artiste.
-Cela se passait à Ganges, ici ?
-Oui. Au Petit Temple et, vous pouvez m’en croire, cela fit son effet lorsque la gueule et les crocs de l'animal sortirent du tronc.
-...!
-Oui. Puis le cou, les pattes. Quelle impression : on voyait bien que l'animal allait tout bouffer, des visiteurs à leurs caniches qui faisaient tout pour casser leur laisse en apercevant le monstre.
-...!
-Mais, ce n’est pas tout, et voilà ou je voulais en venir : tous les soirs, un petit garçon et sa mère se présentaient pour la fermeture de l’exposition. C’était le moment ou artistes, amis et quelques inconnus prenaient plaisir à partager un morceau de pain, du saucisson et le verre de vin de l’amitié.
Et la dame continuant à me regarder sans me voir :

-Que disais-je... ah oui ! Donc, notre petit garçon qui devait tenir ses cinq ans à tout le plus, oui, notre petit était obnubilé par ce crocodile plus vrai que nature qui, tous les soirs, sortait un peu plus de son tronc d’arbre. Curieux mais pas téméraire, il tirait sa mère par la main pour observer l'animal et ses crocs tout en se cachant derrières les jambes de maman.

-Dis, Maman, comment il est sorti de l'arbre, le crocodile ?
-Mais, il n'est pas sorti tout seul du bois. Demande à Diallo.
Et Diallo regardant le bambin avec amusement lui glissa quelques mots à l’oreille.
Le bambin parut se satisfaire, puis :

-Oui, mais Monsieur, qui t'a dit que le crocodile était dans l’arbre ?
Et, Diallo portant un doigt à ses lèvres, lui dit :
-Parce que, moi, je savais ! Tu veux le toucher ? Il n'est pas méchant.

Et le bambin, refusant furieusement toute caresse à l'animal s’est satisfait de la réponse : le crocodile des forêts de l’Aigoual existe bien. La preuve ? Suffit juste de porter un doigt à ses lèvres et dire :
-Je savais que le crocodile voulait sortir du bois, mais...
-...chut, faut pas réveiller Monsieur Crocodile. Faut surtout pas !
                                  ___________

Aux dernières nouvelles, il se raconte que le crocodile aura remonté la haute vallée de l'Hérault pour aller se nicher sur les pentes boisées du Mont Aigoual, près de l'Hort de Dieu. 
D'autres l'auraient reconnu enchaîné à un palmier dans les armoiries de Nîmes. Peut-être aura-t-il voulu aller faire son intéressant à Ganges, au Petit Temple, le temps d'une exposition ? 

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire