mercredi 28 janvier 2015

Le piano Impérial* ! - 2


Profl grec mais coupe de cheveux teutonne
Euterpe ou EuterNPD
À chaque anniversaire de Benoît, Pattie invitait papa, maman, Henri et sa dame.

- Non, non ! N’apportez rien. Venez, tout simplement. Tu penses bien que papa et Henri, bien chapitrés par leurs femmes, se présentaient toujours, un cadeau à la main. Toujours !

- Il ne fallait pas ! Et, comme c'est gentil. Il ne fallait pas, peut-être sauf que le Benoît appréciait ces babioles d’amitié et sa Pattie en était heureuse.

Tout à "son" Impérial, et devenu virtuose par la simple magie de ce piano, mon père accompagnait le chant des convives l’après-midi durant avec : "Mon amant de Saint Jean, Et ça fait boum là dans mon cœur , Riquita, La Vie en Rose, J’aime Paris, J’ai tant pleuré pour toi, Mon cœur est un accordéon", jusqu’à plus soif.

Tiens, en parlant de plus soif, papa, Henri, et ces dames aussi, tout ce joli monde se sifflait allègrement le champagne de Benoît pour ne se quitter qu'en fin d'après-midi et ne se revoir qu'aux fêtes carillonnées et le 11 novembre... le 14 juillet aussi ? Aussi !

Ainsi, à chaque rencontre étaient sacrifiées quelques autres bonnes bouteilles, surtout à l’anniversaire de Benoît, Benoit qui, lui s'envieillissait bien plus vite que nous à chaque année. Pattie aussi, tiens. Pourtant on devrait vieillir ensemble, non?... Ou le temps ne serait-il pas le même pour tous et à tous les âges de la vie et les jeunes disposeraient-ils plus de temps pour vieillir que les vieux ?

Etrange... mais, enfin, c'est ainsi !

Au début du repas, et pour ne pas la saucer, les hommes se défaisaient de leurs cravates ; à se resservir, ils dégrafaient toutes ceintures et ceinturons ; puis, se renversant sur leurs chaises afin de mieux pouvoir y parvenir, ils finissaient par déboutonner le dernier étage* de leurs braguettes pour sacrifier au dessert, se mettant ainsi à l'aise pour chanter en parties*.
*étage n'est utilisé ici, à ma demande que pour éviter la lourdeur du bouton déboutonné ! Youssef. Quant aux voix, elles n'étaient qu'à quatre parties ! Gilou.

Un jour, sans y prendre garde, Benoît rendit son âme à Dieu et, chose curieuse, Pattie nous invita le 28 janvier suivant ! Nous hésitions, ta mère et moi, mais Pattie sut nous convaincre :

- Mais, non ! Mon Benoît est bien mort, et au paradis. Mais je sais aussi qu’il aurait aimé voir son petit monde tout réuni en ce jour.

Nous nous sommes rendus à l’invitation avec Henri et Françoise et, comme par extraordinaire, avec des cadeaux pour Benoît ! Tu peux le croire ?

A nous revoir, je crois bien qu'on était un peu zinzin, c'était peut-être l'époque qui faisait ça, mais Pattie en fut si heureuse, de ces présents. Pour son Benoît, surtout.

- Si je ne suis pas indiscrète, quel âge aurait-il eu, ce jour ? demanda ta mère.
- Oh, s’il n’était mort ? Il aimait à dire que nous étions frappés du même millésime, un cru d'amour bien frappé, oui !
- C’est une belle expression-champagne que je ferai mienne. Comme c'est beau, Hamid, ne trouves-tu pas, chéri ?
- Oui, Raymonde. Le même millésime.
- Mais encore, Pattie ?
- Eh bien, soit. Du même mois, et du même quantième. Voyez, c’est ce qui nous aura si vite rapprochés, dès notre première rencontre.
- Mais, c’est magnifique, Pattie. Mais, quelle histoire !
- Vous croyez ?
- Oh, que oui, ma chère. Mais, quelle histoire !

Le soir, en rentrant chez nous, papa trouva la mère maussade, pour tout dire de très mauvais poil. Le "Mais, quelle histoire" y était certainement pour quelque chose. Papa s'inquiéta :

- C’est à moi que tu fais la tête, que j'aurais oublié ton dernier anniversaire ? (Papa Youssef était artiste, toujours la tête ailleurs. Youssef).
- Quand je pense qu'il portait beau !
- Mais, de qui parles-tu, Raymonde ?

- Mais, de Benoît. Il n’aurait pas pu célébrer son anniversaire avec celui de sa femme, non ? Nous le faire savoir, au moins ! Dire qu'on lui apportait des cadeaux, et à lui tout seul. Mais, quel beau salaud ! Il ne mérite pas son Bösendorfer.

Depuis, pour nos femmes, mais surtout pour Raymonde, les anniversaires de Pattie furent sacrés, tout comme les cadeaux :

- C’est pour vous, ma chère. Votre Benoît reçoit sa récompense au paradis, croyez-moi, disait ma mère, qui n'en pensait pas moins à son "Mais, quelle histoire !"

Enfin, ceci est toute l'histoire du piano que me conta mon papa Youssef, et aussi que c'est par la faute de son cousin Hamid que je m’appelle Youssef qui n’était pas le véritable prénom de mon père, qui est Hamid... Mais non, pas le cousin, voyons !

- Au fait, Papa, que devint le Bösendorfer ?
- Tu as raison mon fils. Que devint-il…
Le seul regret de papa et son plus grand plaisir ? N’avoir jamais su jouer Chopin mais avoir, comme lui, tâté de ce Bösendorfer !

                             Signé : vôtre Youssef Ben Talabouzrou, fils de Hamid, mon père et de Youssef, mon papa, fils de Mezziane i'Sourdiien, fils de Mohand dit l'Mouss, fils de...

Pour mon pote Youssef, ... et pour le Bösendorfer et tout nôtre plaisir, aussi ! 

GPK Sumène ce 28 de janvier, jour anniversaire de Benoît.

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