mercredi 15 juillet 2015

La Closque - 2


La Closque en ses vignes. 

La Boulange possédait une maison, ce qui vous classait déjà son bonhomme au hameau de Raynal, et du bien, dont deux belles vignes, la plus proche située au dessus du chemin vicinal qui mène au chef lieu du canton, au flanc de Saint-Jacques, vignes qu’il n’entretenait pas lui-même et laissées à la la charge de sa fille.

Tous espéraient qu’à la retraite de ce contrôleur les choses changeraient dans les terres car il en allait de la beauté et de la jeunesse d'Esther, mais on assistera toujours au même tableau champêtre de la fille aérant la terre derrière la charrue, taillant et récoltant serpette en main ou traitant les vignes, pulvérisateur au dos, suivie à quelques pas du père, un livre ouvert dans les mains, tel le curé du village lisant son missel lors des processions religieuses, vêtu d'une ample pèlerine bleu-noir de berger qui frottait le sol, et toujours coiffé d'un impossible chapeau jaune bouton-d’or, été comme hiver. 
Pour se protéger du soleil, comprenez-vous, du soleil !

A Esther, rompue au dur labeur des champs et aux délicats travaux d’aiguille, ma grand-mère fit confectionner une robe légère, sur patron, pour sa fille alors toute jeunette. Pour les essayages, ma mère, que Dieu l'ait en sa sainte garde, lorsqu’elle entra dans la cuisine de la Closque, après que ses yeux se fussent accoutumés à la pénombre, ce fut le choc de sa vie car, dans la pièce commune qui servait de cuisine, de remise, de salle à manger, de salon et de chambre à coucher  l'hiver, une pièce peu éclairée, sans jour aucun, humide, froide et enfumée, oui, dans cette petite pièce, monsieur Gédéon trônait, sombre et courroucé, elle ne sut dire, mais elle le vit bien au dessus des humains tel Zeus sur son Olympe qui contemplait son monde.
Une révélation qui marqua maman, on peut le croire.

Ma mère et sa mère, ma grand-mère savaient la Closque légèrement frappé, fada même, aux dires du village. Mais, découvrir Gédéon tel ces sombres rois fainéants qu'on apprenait à l'école communale, le Gédéon trônant assis sur une chaise posée à même la table de la cuisine, les pieds sur la rambarde du fourneau, et comme tout emmailloté dans son éternelle pèlerine, là dans sa maison même...
Effrayée par ce cauchemar d'un La Closque tel un géant, le tout couronné d'un chapeau de paille citadin... c'en fut trop pour la fillette. 

Connaissant les lubies de la Boulange et s'en accommodant, la mère* retint la mère* par le cou pour la calmer, la confection de la robe n'attendait pas.

*Ndlr : au Raynal ma, ta, sa, nôtre, vôtre, leur mère se remplacent avantageusement par La mère. 

De cette histoire de chaise et de table, il se raconte au Raynal que la Boulange, en toute science, s’en était expliqué une bonne fois pour toutes : non, il n'était pas fou.
-La chaleur monte, tout le monde le sait !
Oui, tout le monde, mais seul la Closque avait eu l’idée de cette chaise posée sur une solide table de ferme pour mieux se réchauffer au dessus du fourneau, les pieds trempant parfois dans une bassine, nous réinventant la clède cévenole et le séchage des châtaignes par la combustion lente de soucs nécessaires à l'obtention des châtaignons fumés, durcis comme closques. 
On n'ose imaginer La Closque sur une chaise bancale posée délicatement sur une frêle table.  Bancale, elle aussi ? Eh bien, non. On ne veut pas tant de mal que cela au père La Closque !

La deuxième vigne que possédait La Closque se trouvait laissée un peu à l’abandon sur des traversiers bien au dessus du hameau de Raynal, sur le serre de Saint-Jacques, Esther ne pouvant suffire à tout. Contigu à cette vigne, un cyprès signalait le caveau familial.
Lorsque les temps furent venus de penser à son salut, la chaleur du fourneau montant à la tête, on le sait bien, nôtre ex-contrôleur des finances fit une promesse difficilement tenable, comme si une fille se devait d'honorer les largesses post-mortem de son défunt père. Non mais dites-donc, La Closque !

La promesse ? Assavoir que La Closque pressait un vin de Clinton, qu’il améliorait par chaptalisation, sa retraite lui permettant cette folie d'ajouter du sucre pour en augmenter le degré alcoolique et ainsi le bonifier.
Il promit un grand tonneau de cet excellent clinton (oui, excellent) plus un cambajou* à ceux qui prendraient la peine de le mener au tombeau, et quand je dis peine, c'est bien de peine qu'il s'agira, surtout pour ses derniers porteurs de bière.

*Ndlr : Oh, pardon : le cambajou est le jambon sec de par chez Gilou.

Récapitulons : Gédéon dont nous n'avons cure du nom patronymique, son sobriquet de la Boulange suffisant à sa désignation, La Closque la parfaisant, bénéficiait d’une bonne retraite de fonctionnaire, d’un petit bien augmenté d'une maison, de deux belles vignes, d'une fille travailleuse et d'un caveau familial, là-haut, attenant à sa vigne du Haut Perché sur le serre de St-Jacques et, foi de parpaillot, jamais ne manqua à sa parole. 

Possédant, Gédéon avait aussi cet avantage indéniable de n’avoir qu’Esther en ayant-droit, une fille certes peu instruite mais restée belle malgré la dureté des travaux de la terre, et bonne à marier, seule héritière, ce qui en augmentait considérablement la beauté, cela va sans dire. Seul bémol, avec le temps, elle se faisait taiseuse et peu liante comme l'avait été feu son père. Dommage.
Eh, oui, le Gédéon La Boulange aurait pu devenir un des notables du hameau de Raynal, mais on évitait poliment le Gédéon La Closque : soyez un contrôleur des finances consciencieux, et voyez où cela vous mènera !

Puis, La Closque rendit son âme de taiseux à Dieu pour confier sa fille bien-aimée en sa sainte garde, et à celle d'un homme du Raynal, ou du canton qui la voudrait bien.
Que pouvons nous souhaiter de plus à la belle Esther qui héritait d'une maison cossue, de la beauté, de la jeunesse et de belles vignes ?

Ndlr : toutes les vignes de France sont toutes belles, croyons-le !
 
Oui, comme son père, nous espérons qu'Esther puisse se dénicher un gentil petit mari pas feignant pour deux sous.

Esther, ma fille avant que de t'accorder époux, n'oublie pas le respect dû à feu Gédéon, ton père, en ses dernières volontés, il en va de l'honneur du Raynal. Et de la famille de La Boulange.

A suivre.

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