lundi 8 août 2016

Je ne parle pas aux cons...


Sachez que, contrairement à Erdogan j’ai appris à me méfier de mon défaut principal, cette paranoïa qui entretenait une rancune tenace qui me pourrissait la vie après avoir compris que, berbère un jour berbère toujours, l’atavisme pour seule cause ne pourrait jamais en être l’excuse. Comme disait Fatima, ma mère :
-Chez nous, les Kabyles on te fera la guerre sans répit pour un rien et pour un dommage gravissime, on te dira : « C’est rien, mon frère, c’est rien ! »
Depuis que j’écris sur mon blog, jamais, au grand jamais je ne me suis abaissé à régler des comptes personnels, ou si peu. J’en serais malheureux, moins pour les mis en cause que pour moi-même et pourtant, dérogeons pour une fois à la règle. Oui, je le sais : une fois encore.

Parce qu’on me lit dans ma ville, j’espère que certains profiteront de la leçon. Voilà donc encore une belle histoire qui prouve que, trop souvent la bêtise s’accroche à la rancune comme le pendu à sa corde, mais cette corde, je jure sur mon honneur que je ne l’ai pas moi-même ni tressée, ni accrochée à l’arbre.

Depuis quelques temps, lorsque j’essaie de discuter ou de vouloir partager un pot à la terrasse de mon bistrot avec des personnes que je considère comme des copains, l’accueil toujours chaleureux se transforme en évitement de regards uniquement lorsque Jean-Balthazar se fait le gardien de la tablée. Je ne suis plus bienvenu :
-Non, cette chaise est déjà prise… oui, celle-là aussi. Par Antoine et Claude. On les attend.
On a bon dos, alors pourquoi insister ? Je pars m’installer ailleurs et, hier soir je m’en ouvris à Américo :
-Peut-être qu’ils sont abrutis. Peut-être pas tous, m’enfin on ne sait jamais. Aurais-tu joué un tour pendable à Jean-Balthazar ? Réfléchis.

Tiens, était-ce celui-ci ou Jean-Charles ? Possible car il me revenait en mémoire une altercation vieille de plus de quinze ans avec un abruti, un Jean-Machin insignifiant dont je ne me souviens pas avoir aperçu ne serait-ce que l’ombre du visage pour la raison que j’étais excédé et que l’affaire se déroulait une nuit de juin dans la sombre cour de l’école laïque et un jour de fête de la Solidarité. Voilà de quoi il retourne. Vous allez rigoler. Ma parole, si je mens !

Une fête qui avait mal évolué terminait toujours l’année scolaire. De mon temps, toutes les classes présentaient des chants, des scénettes avec des décors construits par les enfants et des déguisements pour mieux entrer dans son rôle. Fallait voir les parents !
Mais, mon temps, il y longtemps qu’il est révolu. Puis, l’éducation ayant heureusement progressé, on considéra qu’après l’organisation de jeux pour les petits, les parents s'acheveraient par un bal entre-soi.

Je résidais à l’époque à moins de 20 mètres de l’école et du boucan. Vers une heure du mat, Fanny fatiguée n’arrivant pas à pouvoir s’endormir :
-Tu crois qu’ils vont faire du bruit encore pendant longtemps ?
Il faut savoir que nos jeunes adultes, les oreilles détruites par le walkman de l’époque n’avaient plus aucun sens de la mesure des décibels et mettaient la musique à fond les manettes, avec ces basses démentes à vous tordre le ventre. Atroce.
-C’est la fête chérie. Au Vigan, c’est rare, une fête. Faut bien s’amuser lui disais-je.
Cette dernière phrase était-elle de moi ? Possible quoique j’étais excédé par le bruit si puissant que les vitres mal mastiquées de nos vieilles fenêtres se mettaient à vibrer, mais admettons.  
-Si j’étais moins fatiguée, j'irais bien leur demander de baisser un peu leur sono.
Tu parles ! Message reçu cinq sur cinq.

Ni une ni deux, et parce que Fanny me reprocherait demain mon laxisme, euphémisme pour parler de lâcheté, je sautais dans mon jean et, torse nu et sans chaussures je me faisais fort de me faire comprendre des organisateurs.
Me voila dans la cour pratiquement déserte et plongée dans le noir, tout un couple dansant, pensez, la seule femme du lot, une tournante, va savoir plus une poignée de jeunes gens discutant près de la grande table du fond, un type plus âgé assis à ses platines, tous semblant s’ennuyer fermement. Pas de parents ni d’enfants à l’horizon. Mince alors, c’est devenu quoi, cette fête de l’école ? Une boite de nuit  de 21 heures à cinq heures du mat’ avec plus de décibels que de danseurs et tous déprimés en constatant soudain que la vie marche de pair avec la solitude de la nuit dans un monde qui voudrait bien leur offrir le bonheur par l’oubli du quotidien ?

Le type assis, je ne l’ai pas reconnu mais, quoique étonné, sans plus, de constater qu’on se permettait de mettre autant de musique à fond pour un seul couple de danseurs, je l’interpellais calmement par-dessus la table :
-J’habite à côté. Ma femme revient d’Afrique après un long voyage. Si vous pouviez baisser un peu la musique, ce serait aimable.
Je croyais ma demande raisonnable. Réponse du responsable que tous, sauf moi auront reconnu aujourd’hui à la tablée du bistrot :
-Monsieur, on a l’autorisation de la Mairie.
-D’accord. Mais, jusqu’à qu’elle heure ?
-Jusqu’à minuit.
Je consultais ma montre :
-Il est plus d’une heure du matin. Alors vous allez m’arrêter tout ce machin.
-D’accord, juste un dernier disque et j'arrête.

Sans nul doute pour me signifier son contentement suite à notre accord, le monsieur lança La danse des canards un morceau d’anthologie qui ne dure que 7 minutes, la musique toujours à fond. Mais, qu’est-ce que sept minutes dans toute une nuit même si elle était raccourcie ? Rien. Moi, sorti de la cour, je m’accoudais au garde-fou du pont qui enjambe la Pénétrante, attendant en fumant une cigarette, rasséréné par les bonnes volontés communes. Le DJ, me voyant partir pensait que, tranquillisé j’étais rentré chez-moi.
Curieux qu’aujourd’hui, je me demande encore pourquoi je n’étais pas rentré me coucher.

Chouette, la musique cessa enfin. Je ne fis pas cinq mètres en direction de la maison quand Procol Aroum hurla son A Wader shade of pale. Un hurlement alors qu’on aurait du s’attendre au silence promis par l'autre abruti ou à une musique plus douce, comprenez, comme pour un slow langoureux. Mais, non ! Je t’en foutrai, moi, de la musique à fond.

L’avait pas bien compris cet animal de responsable de ce qui risquait de lui arriver sur son vilain museau. Ni une ni deux, dans l’état que sans doute il espérait, je me dirigeais vers sa table, cette fois entourée de toute sa Jeune Garde, pensez la Solidarité était proche du Parti Communiste viganais, de mon temps.
Je me bloquais devant lui, le pied droit armé à pouvoir le projeter par dessus la table et voilà pourquoi je le regardais de biais pour ne pas l'inquiéter. Quel salopard ! 

-Je ne crois pas que tu m’as bien compris. Ton foutoir, tu me l’arrêtes tout de suite si tu ne veux pas que je te plante quelques bons coups de pieds dans ton ampli, à commencer par les enceintes. Compris ?
Faut dire que l’autre a eu une réaction incroyable :
-Je ne croyais pas que vous soyez comme ça !
-Ah, ouais ! Vous soyez comme ça... j'ai pas bien entendu ! T’as raison, je suis pire parce qu’après ton matériel, je te pète la gueule, espèce d’abruti. Et ne pense pas que tes copains me font peur. Alors, arrête de me gonfler. Je m'en vais, et gare à toi si je reviens.

Voyez-vous, cet épisode je l’avais oublié. Et je ne savais même pas la tête de l’abruti de service dans mon histoire. Mais, comme c’est humain il a dû renverser les rôles pour me faire passer pour un beau salaud, agressif en contant à sa façon cette histoire à mes copains qui, eux pas futés pour un sou l’ont gobée. Et, hop ! Merci les mecs, on se paiera encore des pots ensemble !

Comme j’aurais bien aimé que les Jean-Pierre, les Claude et les Jean-Foutre montrent un peu de courage pour me demander ma version, j’en tire la conclusion qu’il me faudra leur refuser, à dater de ce jour mon bonjour et les dispenser de ma charmante présence.
Comme je l’affirmais plus haut, la rancune ne me tenaille plus et si, à l’occasion ils voulaient quelques explications sur les choses à ne jamais faire lorsqu’on se pense être un honnête homme alors, sans doute reverrais-je ma position. Pas avant.

Mais, cette histoire importe-t-elle ? Pas le moins du monde, mais les bons comptes font les bons amis.

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