vendredi 12 août 2016

Olé, toro !


Tiens, une curiosité. Un jour qu’après avoir visité une dame que j’avais draguée sur Internet, à moins que ce soit-elle qui aurait engagé la première la manœuvre, mais peu importe, l’affaire s’engagea par le siège car elle ne m'espérait qu'en rendez-vous pour le thé, petit doigt levé, balades respectueuses et séances de cinéma, chacun à sa place et sans mains baladeuses ce qui ne pouvait en rien m’intéresser car il me fallait une relation nourrissante spirituellement, soit mais pas que, surtout de celles qui tiennent bien au corps, si vous voulez tout savoir.
Et pourtant, l'appât, un peu maigrichon mais bien carrossé semblait tentant.

- Vous n’avez pas de chien, au moins ? J’ai peur des chiens. Et le cinéma français ?
Pour lui plaire j’ai failli lui dire que je préférais les chattes aux matous, les chiennes aux toutous et que, pour l’instant je me cherchais une vraie chienne , d’où ma démarche de ce jour. Faut bien rigoler, quoi !

- Non. Pas de chien mais j'ai une chatte à la maison qui s'appelle Fanny. Le cinéma français, si j’aime ? Ben, le ciné, à part Clint Eastwood, les westerns spaghetti, Tarentino, les films de guerre, les poursuites auto, les bagarres, les policiers, l’espionnage, moi quand ça pleurniche, j’aime pas trop. Le cinéma français ? Intéressant… Trop psychologique et cela me dérangerait ? Non, non. Le problème ? De beaux portraits en gros plan avec trop de dialogues qui nuisent à l’action. Trop de trop dans l'affect. Geignard, le cinéma d’auteur, vous me comprenez ?
Je crois que la dame n’avait pas encore remarqué que, si j’étais homme du monde j’entendais toutefois pouvoir entretenir une relation un peu plus mouvementée, vigoureuse à l'occasion. Sexuée aussi ? Et, pourquoi pas, évidemment après un bon repas et une bonne tranche de bœuf arrosée d’un bon Laudun… ou un Chusclan. Et, hop au lit, vilaine ! Au trot !

Une heure à discuter bouquins, ciné, balades, petits repas, vernissages d’exposition, musées, monuments historiques, peinture, musique, voyages… Çà ne vous gonfle pas de ne pas aller à l'essentiel ? Moi, si. Pour une visite, je lui suggérais Nîmes la romaine, pour commencer :
- Je peux trouver deux places à la corrida des vendanges. Oui, deux.
- Non, non, surtout pas les Arènes. La corrida, quelle horreur !

- Quelle horreur, mais c’est du grand art ça, Madame ne vous en déplaise. Ah, la mise à mort dans ce silence poignant, ce mano à mano entre la bête féroce et l’homme si faible. La foule, les olé, la musique. Toute l'Andalousie. Et ces couleurs, et ces ors lumineux, ces rouges puissants dans le soleil qui peine à gagner sur ces ombres noires, et ces contrastes dessinés sur le sable... que de beauté.
A voir la tête qu’elle me faisait, fallait vite rectifier.
- Non, non, je plaisantais, très chère.
Elle n’a pas eu l’air de trouver la chose amusante. Ni la mise à mort, ni ma soi-disant plaisanterie. J’aurais dû me méfier de ma grande gueule et de cette propension à tourner toutes choses à la rigolade.

- Mais, oui, Madame, quelle horreur que tout ce sang versé dans l’arène et ces filets rouges qui poursuivent jusqu'à rattraper le taureau lorsque les vieux chevaux le traînent avec peine sur le sable blond. Mon Dieu ! Honte sur nous de vouloir se régaler d’une mort aussi… aussi. Enfin, je voulais dire que rien que de participer à la mort du taureau, c’est comme si nous tenions le fer supplicier. Et ce coup de stylet dans la nuque, ça vous remue les tripes. Oui, insoutenable.

Faux-cul un jour, faux-cul toujours. Mais, il faut ce qu’il faut :
- Et pourtant,  pourtant je vous avoue, Madame… pardon Anaïs ? Un très beau prénom… oui j’avoue que cet El Cordobès autant encensé que dénigré du temps de ma jeunesse, que j’aimais à le voir toréer, et quel spectacle ! Par contre, le picador et la mise à mort, m’est avis que c’est de trop et que ça gâche la fête, n’est-ce pas ? Et tout ce sang versé !
Ma dégaine laissait-elle à désirer, avait-elle mauvaise vue et mon propos lui écorchait-il les oreilles ? Je ne sais. Et pourtant j’avais bien tenté d’adoucir mon discours. L’a-t-elle compris ? Je ne pense pas.

- Quelle horreur d’organiser ainsi la mort, de la mettre en spectacle ! Quelle indignité. Et ça vous plaît ?
- Oui... Mais, non ! C’est moche. Mais, de la viande… ne me dites pas que vous êtes végétarienne, non ?
- Non ! Végétalienne.

Tiens, me disais-je, c’est quoi encore cette connerie, ça existe, ça ? Pas manger de viande, et puis quoi encore ! Doit pas avoir la santé, la petite dame. Me paraît bien palote, l’Anaïs qui commençait à me bassiner avec ce taureau qui se mettait entre nous. Devrait manger de la viande, à son âge. Voyons voir, les repas en amoureux au restaurant, ça promet de grands moments. J’osais imaginer :
- Et avec la laitue pour accompagnement, Madame ? J'ai un oignon doux des Cévennes...
- Servez-moi plutôt une endive braisée à l’huile, sans beurre. Oui, je suis végétalienne… et en dessert ? Une petite banane m’ira parfaitement !

N’aimerait pas l’oignon dont je raffole ? Inquiétante, la belle ? Elle l'était, la vilaine. Quand à la banane j’espérais que la petite dame pensait à la même chose que moi. Mais, pas si sûr.
Cher lecteur, je te vois prendre plaisir à l’évocation de ce repas en amoureux, mais il n’y a pas de quoi. Désespérant. Rien qu’en pensant à la tête du serveur, je me mis à sourire, mais j'étais ailleurs.

- J’aime bien votre sourire, Monsieur ?…
- Gilles. Et vous ? Ah, oui, c’est Anaïs. Veuillez m’excuser.
Mince alors. Je ne me rappelais plus son prénom. Çà commençait bien, notre relation. Un joli prénom qui ne te va pas, dommage, voilà pourquoi j’avais oublié, pensais-je.
- Anaïs, vous êtes la première Anaïs… pardon, si je suis marié ? Je l’étais, je l’étais. Et si je suis en couple aujourd’hui ? M’enfin Anaïs, votre question me chagrine ! 
Tu parles, la chagrinée serait plutôt Fannie. Faut surtout pas qu’elle sache. Non, non, c’est qu’elle risquerait de me faire porter des cornes, et après le chagriné serait moi.

Nous avons rompu là, nos vies ne pouvant s’accorder. Et tant mieux. Pourquoi ? Parce que m’empiffrer de barbaque exigée saignante, d’œufs mimosa, de fromage bien coulant en face d’une mangeuse de verdure, qui parle de convivialité ? Doit pas se montrer radieuse au lit à tant éviter la viande. Et puis, au restaurant tout le monde penserait que je suis un radin comme un que je ne citerai pas, ou que la dame qui m’accompagne serait souffreteuse et, sans ce bel appétit des choses de la vie, on finit par s’attrister.

Les autres clients du restau ? Les imaginant s’imaginer des choses inimaginables nous concernant surtout au lit avec ma bien peu en chair, je préférais en rester là tout en m’en allant. Dommage car nous avions commencé par nous tutoyer, un bon point pour moi :
- Tu m’excuseras Anaïs, mais je te souhaite sincèrement plein de choses. Tu le vaux bien.

Du bonheur avec un gars bien ? M’étonnerait qu’elle s’en dégotte un aussi potable que moi. Pas vrai ?

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