mardi 2 août 2016

Du foot et des villages - 3


Castagne-le-Pont, pour étoffer son équipe de foot recrutait de bons joueurs en leur offrant un travail bien rémunéré et peu fatigant leur permettant d'assurer des entraînements convenables. Quant à pouvoir "acheter" un goal à la hauteur de l’équipe, on désespérait.
Jusqu’à un fameux match contre Pont-saint-Esprit, "le gardiennage" laissait à désirer, dixit l'entraineur. Comme personne ne se portait volontaire, tous les joueurs devaient s’y coller à chacun son tour, des avants aux arrières et, la défense fébrile encaissant trop de buts déséquilibrait l'attaque.

Kader, moderne en ses théories sur le foot, (il ne vivait que pour et par ce jeu), s'expliqua en Monsieur de la Palisse. Quoique :
-Les petits, je veux un beau jeu d'équipe avec chacun au service de tous. On forme un bloc, une muraille pour éviter d'encaisser. Puis, poursuivant :
On s'accroche au match nul. Pas besoin de se fatiguer à courir si le goal distribue plus de bons ballons exploitables à l'avant qu'il ne prend de buts. Le nul, d'abord. Après, on verra. Voilà pourquoi, à l'entraînement, tous les joueurs-gardiens devaient soigner leurs relances.

Bien parlé, Kader mais encore faudrait-il disposer d'un goal potable. Pour lui, tous assurent la défense et le goal lance les contre-attaques par de bons dégagements et, à force de taquiner les bois adverses, ce serait bien le diable si un coup de pot ne propulserait pas le ballon dans les filets adverses. Et, qu'importe la beauté du but.
-L’objectif, c’est zéro-zéro. Le nul me va ! Après, on leur glisse un but et on gagne. Pas difficile, non ? Juste un seul tout petit but ! Les petits, on n’encaisse pas. Jamais.

Un dimanche, contre Pont-Saint-Esprit, excellente équipe redoutée, l’avant-centre faisant office de goal reçut le ballon en pleine poire ce qui l’expédia au tapis si violemment qu’on finit par le sortir du terrain. Définitivement. Castagne se retrouvait sans personne voulant assurer le gardiennage.
-A toi, petit ! Kader désignait Norbert qui refusa jusqu’à ce qu’Edouard ne s’en mêle :
-Ecoute, Norbert, à l’entraînement des goals, tu es le seul à sortir tous les ballons. Personne n’arrive à te prendre en défaut. Même pas moi. Allez, montre-leur !
-Avec ma main ?
Comme les conditions de sécurité des travailleurs dans les entreprises importaient moins à l’époque que l’abattage du bétail, la protection des menuisiers laissait à désirer et Norbert perdit deux doigts d’une main sur une toupie.
-Avec ta main ? Mais, tu feras un malheur. Demande à nous tous.

Enfin, Norbert s’y colla. A la fin de ce fameux match, les spriripontains allèrent le congratuler :
-Mon garçon, si jamais quelqu’un te colle un but, appelle-nous !
Il faut dire que ce garçon n'avait pas qu'arrêté un pénalty vicieux mais aussi, par de légères claquettes vous détournait tous les tirs en lucarne, bloquait des deux mains même sans la poitrine tous les puissants boulets adverses, plongeait témérairement en ultime recours dans les jambes des attaquants pour briser leurs assauts, faisait le ménage dans tous cafouillages ou, toujours bien prépositionné retirait élégamment le ballon de toutes les têtes adverses à chaque corners, qu’ils soient rentrants ou sortants. Mais, plus : ses dégagements, parvenant toujours à l'endroit voulu propulsaient les avants et notre goal tout trouvé devenait un demi supplémentaire passeur de bons ballons tous exploitables.
Avec un tel goal, la défense de Castagne, rassurée montait le jeu plus haut pour aider l'attaque, ce qui n'est pas rien.
   
Revenons à notre match de Coupe Gard-Lozère. Pour souligner la faiblesse de Saint-Pargoire l’Ancien, deux rumeurs circulaient, la première avérée que vous connaissez déjà, celle qu’on voulait nous acheter la coupe et qui fut suivie par la deuxième, en forme de moquerie qui donnait une composition farfelue : la réserve remplacerait l’équipe fanion. Colportée jusqu'à Saint-Pargoire, pensez à tout l’effet dévastateur que l’on devine sur son moral.

Mais, mauvaise nouvelle il y avait aussi car, à l’avant-dernier entraînement du jeudi certains avaient entendu que Norbert, notre goal-keeper ne participerait pas au match pour raison de bains de mer. Incroyable !
Etait-ce vrai ? Et si ça l’était, que risquait-on ? Et puis, la victoire se ferait encore plus belle, et on vaincrait même en jouant comme des pieds. Mais on n’en était pas persuadés à 100%, d’où les inquiétudes de Castagne-le-Pont.

Le petit David, avec sa fière devise au fronton de la porte basse ne doutait pas de la victoire car : Ayant Dieu pour défanse Nous ferons résistance.
Oui, Saint-Pargoire, ayant Dieu pour défense ne pouvait perdre son match. Cela se concevait chez eux. Pas chez-nous. Et pourtant, l’emblème du sanglier de Castagne-le-Pont laissait augurer un heureux résultat pour notre équipe. Certains excités se moquait, eux de la Coupe qu'on pouvait, à la rigueur échanger contre une bonne bagarre générale.
La Coupe, la bagarre ? Une bonne baston générale contre un morceau de cuivre chromée... Qui n'aurait hésité tout comme moi, à l'époque bénie de notre jeunesse des désirs-plaisirs ?

Mais, rassurez-vous pour la Coupe : les bonnetiers-paysans-maçons des deux bourgs savaient qu'elle leur reviendrait. Il se disait même que Saint-Pargoire l'Ancien ne redoutait Castagne que pour son emblème, le sanglier qui, s'invitant dans la partie commençait à faire n’importe quoi surtout en mettant à bas tous les murets cévenols qui retiennent la terre. Pas bon, tout ça car il ne faudrait pas que la confrontation ne parte en vrille, Saint-Pargoire l'Ancien pouvant présenter la facture des dégâts à Castagne-le-Pont à l'occasion du match.
Norbert, faisant sa mijaurée rassura Saint-Pargoire l’Ancien. Mais, cette dernière, même sous la sauvegarde de Dieu perdit un jour sa rivière, et cela nous réconforta. N’était-ce pas là un heureux présage ? Enfin, pas pour tous.
Alors, Dieu contre le sanglier ? Norbert dans sa cage ou aux bains de mer ?
L’équipe fanion ou la réserve ?

La coupe se voulait désirable, une bonne baston aussi. On pouvait hésiter.
Les paris dans les bistrots se tiendraient jusqu’à ce samedi soir minuit. Pour le score attendu, pas pour le "fight" espéré. Qu’on se le dise !

Ndlr : toutes les infos sur ce fameux match à Pont St-Esprit je les tiens d'Edouard, le correspondant du journal local et joueur de l'époque qui, malade ne put participer au match.

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