mardi 5 mars 2013

C'est beau Paris ! 3ème.


Parfait et sa copine!
 
Dix ans plus tard, le bébé avait grandi et se prénommait Parfait. Sa mère lui avait donné ce nom pour faire un contraste avec le physique de son père. Lui était penché sur le rebord de la fenêtre, rêveur, regardant les pigeons déambuler dans la rue, entourés de passants pressés d’atteindre un lieu que le pitchoun n’apercevait pas d’où il était.

Sa mère, le crâne rasé, pour des raisons de santé, prétendait-elle, repassait du linge entassé depuis plusieurs jours. La vérité est qu’elle avait passé quelques bons moments avec l’occupant.

Il était las et là, par ci, par là (tiens lui aussi !) de ci, de là, cahin-caha. Il s’ennuyait, dans un appartement entouré de meubles surannés, appuyé sur des murs tapissés de motifs représentant des personnages venant tout droit du dix huitième siècle.

Des cris de joie et des bruits de fanfare désaccordée venant de l’avenue se firent entendre. Ne voyant pas ce qui se passait, il décida de rejoindre le coin de la rue pour assouvir sa curiosité d’enfant.
Arrivé à l’angle que les deux voies formaient, il resta sans voix à la vue de ce qui se passait sur les Champs Elysées. Un peuple en liesse et en liasse, de milieux sociaux différents s’agglutinait.

Les robes, ne dépassant pas le genou, riaient au soleil.

Il faisait très chaud, en ce samedi du vingt six août mil neuf cent quarante quatre. La majorité des hommes était en bras de chemise. Des tractions passaient en trombe, bariolées d’inscriptions tracées à la chaux et de croix de Lorraine. Sur les marchepieds, ou agripés au pare-chocs, ou allongés sur les ailes avant qui n’en pouvaient mais, de jeunes résistants posaient à la foule le problème insoluble de leur origine :
«FFI - FTP». 
On ne savait pas très bien ce que voulaient dire les initiales de leurs brassards!

Après quatre ans d’occupation, PARIS enfin libéré et la foule délirante de bonheur hurlait son enthousiasme à ce Général, les bras levés vers le ciel tel un gamin qui veut du dessert, qui, souriant, descendait l’avenue, accompagné des membres du Comité de Libération.

Parfait, suivant le défilé tomba nez à nez avec une charmante petite fille de son âge. Il la fixait de son regard intemporel et intempestif. Agacée, elle lui dit d’un ton sec:
-Comment t’appelles-tu?
-Parfait, (oubliant volontairement son nom de famille, craignant qu’elle ne se moquât de lui)…
-… et toi? demanda-t-il.

Elle se prénommait Isabelle, belle dans sa robe imprimée de fleurs ressemblant à une prairie remplie d’un printemps expansif et d’une capucine blanche, bordée d’un ruban tricolore, confectionné pour l’occasion, sur des cheveux longs bouclés. Elle tenait, entre ses petites mains boudinées de petite fille une banderole où était inscrit:
«Vive la Gaule» ou quelque chose comme ça.

Ses parents étaient derrière elle. Sa mère, avec un journal sur la tête et son père avec un mouchoir morveux posé sur le crâne dépourvu de tifs, faisait penser à deux gâteaux: une religieuse et un clafoutis.

Les deux enfants discutèrent un long moment et décidèrent d’échapper à cette comédie théâtrale réservée à des adultes crédules.
Ils s’engagèrent dans la rue de Ponthieu (six cent mètres de long et neuf mètres soixante quinze de large), puis l’avenue Gabriel (sept cents mètres sur quinze de large). Ce chemin était le plus calme pour rejoindre le jardin des Tuileries, où ils seraient plus tranquilles pour s’amuser, loin des grands.

Elle habitait la rue du Nil, dans le deuxième arrondissement (longueur soixante douze mètres, largeur cinq mètres) qui avait pour ancien nom «La Cour des Miracles» (de mil six trois à mil six cent vingt deux et en mil huit cent soixante sept, elle prit son nom actuel).

Isabelle logeait au numéro deux, dans une vieille maison aux fenêtres à guillotine, au deuxième étage, deuxième porte à droite après les WC. Le garçonnet ne semblait pas savoir que des gens pouvaient vivre dans ce genre d’endroit car il avait vécu dans un immeuble cossu et luxueux depuis son plus jeune âge.

Ils montèrent à l’étage, empruntant un escalier qui avait dû en voir de belles et des moins belles, recouvert de crasse, n’ayant plus d’âge et dont les marches craquaient sous la pression de leur poids d’enfant.

Arrivée au second, Isabelle s’approcha d’une porte qu’elle ouvrit en s’aidant de son épaule pour faciliter le travail des gonds qui ne l’étaient pas tant que ça. Derrière cette vieille planche qu’elle venait d’ouvrir, il y avait, entassé dans un petit appartement de vingt mètres carrés qui faisait office de cuisine, salle de bains, salle à manger et de chambre à coucher, deux lits, un grand et un petit, un vaisselier qui devait sans doute sa fabrication à la Bretagne car, les deux portes, une à chaque extrémité avaient pour sculpture un homme vêtu d’un déguisement folklorique, assis sur un tonneau, engloutissant une bouteille en bois.

Il y avait aussi une table entourée de trois tabourets où, il y avait accroché au dessus de son centre, sur un lustre en tissu grisâtre, un longue bande de papier tue mouches qui était imprégnée de ces insectes verts et répugnants.
Autour de ce petit bazar, il y avait quatre murs qui formaient un carré et qui était recouverts d’une peinture verte et jaune, couleur RATP.

Les parents de la fillette étaient là, assis près de la table, dégustant un verre de vin. Ils devaient être de grands connaisseurs de ce breuvage rouge car la bouteille était entourée d’étoiles moulées dans le verre, preuve de bon goût.
-Où t’étais partie… on s’inquiétait! Et d’abord, qui c’est c’uilà? Criait le père, énervé et dégoulinant de sueur, s’adressant à sa fille en montrant du regard le petit garçon.

Il était grand, vêtu d’un pantalon noir pâle terni par des années de nettoyage, d’un maillot de corps sans manche bleu marine tâché de vert de narines, rongé par une sueur acide et odorante. Autour de sa bouche, dont l’haleine aurait fait pâlir de dégoût une harde de sangliers, était collée par une salive pâteuse une gitane papier maïs dont la cendre, courbée, était prête à s’évanouir d’un moment à l’autre.
-C’est mon copain… Il s’appelle Parfait! Répondit d’une voix douce la fillette. Je l’ai rencontré ce matin sur les Champs Elysées, et après, on a joué au Jardin des Tuileries.
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Illustration de René BOUSCHET: "Paris libéré". Rappel du discours de De Gaulle pour la libération de Paris.



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