samedi 23 février 2013

Le chant aux Dames* !


Nous sommes en 1914. La masse des paysannes françaises, la voyez-vous ?

Les maris, les pères et les frères, et les amoureux, et les enfants. 
Tous partent au front à l’appel de la Patrie, à la guerre joyeuse, fleur au fusil ! Mais, les femmes n’aiment pas la guerre. Ne l’aimeront jamais !

La campagne se dépeuple. Les hommes à remplacer au pied levé à la ferme, au labour, à la traite. Il faut couper le bois, réparer le toit, maçonner, cuisiner et s’occuper des chiares, les enfants. Et de la grand-mère au coin du feu, nourrir la France, et continuer à survivre tout doucement.

Quatre ans de guerre. D’usines d’armement en moissons pour les femmes. Et travailler sans aide en attendant les nouvelles des hommes, toujours en désespérance.

Vers chez moi, il est le Rocher de la Mère. On appela ainsi cet endroit, un virage à angle droit qui domine la rivière Arre, quand cette pauvre malheureuse disparut. Elle, elle qui attendait, tous les jours, un retour du fils que le Ministère de la Guerre avait déclaré mort au combat. Pour la Patrie. Elle qui savait qu’il reviendrait. 
Mais lui n’est jamais revenu, et elle qui l’attendait encore en s’asseyant chaque jour sur ce rocher. Jusqu’à la nuit tombée.

Et nous voilà en 1918. La guerre finie. La der-des-der. La France à relever. Les femmes qui le feront, seules, toutes seules. Et tu sillonnes les campagnes. Et tu t’enquiers des soldats dans toutes les fermes rencontrées. Les hommes ne sont pas revenus. Tués pour la plupart ou mutilés… 
La France était paysanne. Ce sont ces fils, ces ruraux inscrits sur les monuments aux morts qui l’attestent : les villages sont exsangues ! 
Oui, les monuments aux morts le disent : la paysannerie est morte avec 14.

Et les femmes remplaceront les manquants. Les femmes se feront hommes… sans hommes !

La guerre s'est bien terminée. En séquelles et mutilations. Femmes, la France avait besoin de vos hommes mais ne vous les rendra pas. Débrouillez-vous !
La Patrie compte sur vous. Vous n’aurez plus d’hommes. Il en manque. Débrouillez-vous seules, relevez la France !

Et ces femmes, marraines de guerre, fiancées aux poilus, à ces soldats qu'elles ne connaissaient pas pour soutenir le moral des troupes et l'effort de guerre, avec toutes leurs lettres d'amour irréelles, ont attendu leurs disparus et sont demeurées veuves sans être mariées. 
Fidèles dans l’adversité de la France au souvenir de ces fiancés inconnus !

Voyez toutes ces stèles érigées en souvenir de jeunes hommes dans la force de l’âge et sacrifiés. Et tout cela n’a servi à rien. Et une autre guerre plus cruelle se déchaînera. Vingt ans plus tard. Les hommes n’avaient rien compris, rien.

Veuves sans être mariées : les vois-tu, larmes sèches ? Toute une vie sans amour. Pour la grandeur de la France, pour la Patrie ! Et ce sont ces paysannes-ouvrières qui auront gagné la guerre, dans leurs usines d’armement et dans les moissons. Avec leurs poilus fiancés morts.

De 14 à 18 elles gagneront des droits par la Grande Guerre. Celui des hommes. La paix, en 18 les remettra dans leur condition de femmes sans droits !

Viva la vida, mesdames ! Et que viva la muerte, messieurs !

Un million et demi de morts, plus les mutilés, et les fous ! Veuves de France, femmes sans hommes, fidèles au souvenir vous étiez. Alors, n’oublions pas vos sœurs allemandes, belges, serbes, turques, anglaises, américaines, italiennes. Et russes et toutes les oubliées de l’Histoire ! 
Comptez-vous, veuves de guerre, et vous veuves de n'avoir jamais été mariées. Vous étiez nos mères, grand-mères, arrières grand-mères.
Vous étiez nos parentes. Notre proche famille. 

Tambours, ouvrez le ban. Clairons, sonnez ! Drapeaux en berne ! Saluez et rendez hommages aux femmes !
Que nos silencieuses défilent, toutes de noir vêtues, en deuil de leur patrie, et d’un fiancé inconnu !
Les voyez-vous, toutes ces veuves de France, d’Europe, du Monde ?

Puis, tout recommence pour nos femmes de 39-45. Celles qui se battaient pour que survive leur famille dans les pires conditions, ces jeunes filles estafettes de la Résistance inconsciente des dangers, et ces juives, et ces russes encore une fois assassinées. 
Et les belges, les danoises, les finlandaises, les anglaises, les italiennes, les serbes, les allemandes, les polonaises, les tchèques, les autrichiennes, les américaines, les japonaises, les tonkinoises, les chinoises, les manchoues, les indochinoises, les australiennes, les indonésiennes, et toutes les autres, et les russes encore!

Et nos tsiganes, éternelles oubliées de l'Histoire et des nations ! Elles aussi ont souffert !

Et celles qui ont été tondues, leur nouveau-né dans les bras…

Et les algériennes, femmes de l’indépendance. Et les vietnamiennes...

Et les esclaves noires de la Traite, et puis aujourd’hui, les indiennes qu’on viole, les musulmanes qu’on voile, les afghanes et les irakiennes qu’on supplicie. Et ces mères juives et palestiniennes qui voudraient se parler par dessus un mur de la honte, et les iraniennes qu’on pend. Et toutes les autres silencieuses car interdites de parole, interdites par les hommes.

Gentes dames, j’ai le cœur qui pleure de vous voir en attristement de ce que nous, les hommes vous faisons. Alors que nous devrions vous dire : 

Que je t’aime, ma mie ! 

Signé : Pour Rolando, en ce jour du 23 février 2013, René et Gilles. Le Vigan !

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