jeudi 23 mai 2013

C'est beau Paris! - 10


À la Légion, Parfait conard !

Premier mars mil neuf cent cinquante trois, neuf heures du matin.
Suivant les conseils de Lucien, devenu son ami, Parfait se rendit à la caserne des Célestins, lieu militaire le plus proche de leur logement d’infortune, boulevard Henri IV, dans le quatrième arrondissement. Arrivé devant la porte de cet édifice, il s’adressa à u jeune homme affublé d’un déguisement militaire, portant au dessus de ses épaules une forme cubique lui servant de tête et lui demanda où il devait se rendre pour s’engager dans la Légion. 

Ce soldat, de plomb, massif, lui indiqua l’escalier d’un mouvement de menton en lui disant de monter au premier étage et de s’adresser à l’Adjudant-chef LAUZIN. Il s’y dirigea d’un pas vif. Il vit la porte sur laquelle il y avait inscrit le nom du plus ancien des gradés par ancienneté avec qui il devait s’entretenir. Il frappa à la porte de cette ouverture fermée et y entra.

Assis derrière un bureau forteresse en chêne massif ciré sali, de style casernement, il vit une chose énorme, immense, immonde qui devait être un homme, pensait t’il, déguisé lui aussi, avec un visage ressemblant, lui aussi (encore?), à un vieux cube flétri et blanchi après de nombreuses campagnes dans les bistrots d’alentours, d’un rouge vif, couleur voiture de pompier premiers secours… mais de la même couleur que les autres véhicules des pompiers. Enfin, ce nous semble.

Ce militaire uniforme avait des yeux de fouine (ou de lapin?) atteinte de myxomatose, avec, à la place du nez, un rhizome  globuleux, du nom de gingembre.  Et, à l’intérieur de ce cube, parce que c’est de cela qu’il s’agissait… sauf, votre respect,  un biscuit qui lui servait de cervelle. Le tout surmonté de cheveux coupés ras, comme gazon londonien. Mais pas vert.

-Qu’est-ce que tu veux… et c’est quoi, ton nom mon bonhomme?  Lui demanda d’un ton hargneux ce mastodonte teigneux, bien peigné, peu amène.
-Je m’appelle Parfait CONARD, et je voudrais m’engager à la Légion étrangère… s’il vous plaît, Monsieur, répondit-il, tremblotant, de peur de vexer ce faux empereur roumain.

-Bien, ton nom me plaît, soldat. Tu signes ici dit-il tout en jetant un formulaire d’engagement à travers son bureau, dans la Légion, on ne te demande rien sur ton passé et, pour garder ton anonymat, tu t’appelleras désormais : Conrad LAUGIER, matricule 22352. Et tu seras suisse. C’est obligatoire, finassa t-il sèchement avec un faux air hautain d’empereur roumain.

Se dirigeant vers le magasin du fourrier (où l’on ne fourre que les tenues),  Parfait (alias Conrad), dans une joie ineffable contenue, avait l’impression de se sentir bien, très bien dans sa peau après cette entrevue et son nouveau nom.  LAUGIER. Conrad LAUGIER. On lui donna un déguisement comme aux autres. Et il l’enfila.

Qu’il était beau dans son uniforme kaki, beau comme une crotte de chien que l’on n’a pas encore écrasée… une sentinelle. L’armée commençait bien. Le prénom de Conrad, à l’évocation, lui plut.

Il passa sa nuit dans une grande pièce froide, non chauffée car inchauffable parce que trop grande… avec d’autres garçons, perdus comme lui, qui servait de dortoir (la pièce… pas les garçons).
Une atmosphère moite, emplie d’émanations volatiles d’une transpiration maladive imprégnait la salle immense qui était propre et dont le sol, en béton, était ciré (c’est d’un ridicule… les militaires? Aussi.).

Ils y passèrent la nuit où certains dormirent. Conrad, lui ne ferma pas l’œil de la longue et triste soirée, anxieux de ce qui l’attendait.

Le lendemain matin aux quatre heures sept très précises, on les réveilla brutalement pour les emmener en train spécial, affrété pour l’occasion, en direction de Marseille prendre le bateau vers Corté sur l’Ile de Beauté devenue, pour lui et ses camarades, huit semaines plus tard, l’île de Mocheté, Ainsi, on avait fini par atteindre le Groupement d’Instruction de la Légion Étrangère.

Parfait… non, Conrad pour la légion, y resta quatre mois pour faire ses classes et partit pour l’Indochine tuer. Pour la France tuer. Jusqu’au neuf octobre mil neuf cent cinquante quatre ou les dernières troupes quittèrent Hanoï. 

Il en revint, d’Indochine, sur un civière, gravement blessé à la cuisse droite, à la suite d’un éclat d’obus tombé à côté de lui qui le laisserait boitillant toute sa vie.

On le plaça dans un hôpital militaire parisien, où il resta plusieurs mois. Plusieurs mois parisien.

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