vendredi 10 mai 2013

C'est beau Paris ! - 9


Cours plus vite, Parfait, cours…

Il arriva dans la rue et descendit les Champs Elysées pour rejoindre la place de la Concorde. Il continua jusqu’au pont du même nom, pour finir sa course sur les quais de la Seine là où il serait plus tranquille, et pour ne pas se faire repérer.

Il marcha longuement, sans destination préétablie, se laissant aller le long de ce fleuve, errant sous les ponts «et rond et rond petit patapon», rencontrant quelques vagabonds emplis de solutions pataphysiques et vinicoles, pour arriver à la hauteur du jardin des Tuileries. Il se souvenait de son enfance, avec Isabelle, son amie, où ils passaient des après-midi à s’amuser, de son école, de la classe où il était assis, au fond à droite en entrant à gauche, à côté du radiateur et de la baie vitrée.

Il était mauvais élève, mais non dépourvu d’intelligence, toujours dernier de la classe, toujours premier à sortir. Ce n’était pas lui qui ne voulait pas apprendre, c’était la maîtresse qui lui apprenait sans le vouloir vraiment. Son physique était à l’intérieur, mais son esprit était au dehors avec les oiseaux et la nature environnante. Il était rêveur.

Pour le punir de ses absences de sens à son égard, ce laideron psychodysleptique et non psychologue, se l'enfournait à quatre pattes sous son bureau de chêne ciré vieilli de style enseignement, où il avait le nez et les yeux face aux genoux de cette affreuse femme, et où il apercevait, sans le vouloir, entre ces derniers, cet affreux spectacle d’une culotte pas toujours propre.
Cette dernière pensée le remit dans la triste réalité de l’instant.

Parfait continuait son chemin, longeant cette eau polluée, déjà à l’époque, par un égout en amont appelé du nom de Bièvre, à l’emplacement de la rue du même nom, dans le cinquième arrondissement et d’une longueur de cent cinquante mètres, sur une largeur de six mètres.
Il regardait cette Seine, fixement, inventant une scène peuplée de poissons fantasmagoriques immangeables, quand, tout à coup une pression sur son épaule le fit réagir brutalement. Il tourna la tête d’un quart de tour et, posant ses yeux sur celle-ci vit une main pourvue de quatre doigts. Ce n’était pas Mickey, ni un autre personnage de Walt DISNEY mais, «je te le donne en mille, Emile»… c’était Lucien, Lucien CAMELS, le médecin qui était venu accoucher sa mère (eh, oui! Comme le monde est petit… mon bouquin, aussi!!!).
Cette main était toujours aussi tremblante, un peu vieillie et très sale. Les ongles, qui étaient à l’extrémité de ses deux paires de doigts, étaient chargés de souillures sans nom et sans âges.

-Ne fais pas ça, mon garçon! hurla Lucien d’un ton grave et gravement ivre, à ton âge, ce serait triste! pensant que Parfait allait se jeter à l’eau.
Mais, si Parfait n’était pas bien dans sa peau, ni dans sa tête, il savait ne pas se sentir bien mieux dans l'eau car il n’était pas assez fou pour se baigner par cette température hivernale.
Pour le distraire, le docteur Lucien CAMELS engagea la conversation.

-Quel âge as-tu, jeune homme? Lui demanda le docteur, qui ne l’était plus depuis deux ans, après une erreur médicale assez grave, surtout pour la patiente… car, par un après midi du premier novembre mil neuf cent cinquante, complètement saoul, il marchait dans la rue et fut attiré par un attroupement de badauds. Il s’approcha et vit une femme, allongée sur le sol, à la suite d’une mauvaise chute. Elle était blessée à la tête et, pour stopper le sang qui coulait abondamment, il lui fit un garrot autour du cou et cela lui fut fatal.
La dame, fort heureusement assommée, ne ressentit aucune douleur. Lui, en revanche, reçut des coups de parapluies donnés par des curieux qui avaient vu ce qu’il venait de commettre. Lucien courut à toute jambes pour éviter un lynchage odieux et se réfugia au bord de la Seine, à l’abri de cette foule excitée et y resta plusieurs années, le menant à une clochardisation rapide et inéluctable.

-J’ai dix huit ans, monsieur, répondit Parfait, intimidé et curieux à la fois. Je viens de faire une chose affreuse et je ne sais quoi faire… et il expliqua son drame à son interlocuteur interloqué.
Après une petite heure de monologue, Lucien conclut.
-Pour ce soir tu vas rester dormir ici, si tu veux. Je t’invite dans mes appartements qui n'étaient qu'un tas de cartons étalés au sol, servant à se protéger du froid dur de l’hiver.

Ils passèrent une bonne partie de la nuit à parler de tout et de rien, du pont où ils étaient stationnés, le pont Neuf (cinquième plus vieux pont de Paris, dont la construction s’était terminée en décembre mil six cent sept, grâce à Henri IV et à des fonds perçus d’une taxe sur les vins, ce qui ne lui a pas porté chance, au Roi).

Parfait y demeura là plusieurs mois.

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