mercredi 29 mai 2013

Le magret à la dérobée* !


De la morale. Hier, Rolando s’est découvert l’âme philosophe. Comprenez que, tôt matin, pris de remords, bien tardifs à mon goût, de magret il m’entretint :
-La morale traite du bien et du mal, d’accord, Gilou ? Pour le magret de Pierrot… et le vol, tu dis quoi ?
-L’a été mangé, le magret, alors ! Du voleur aux receleurs, et mangeurs ou du Pierrot, quelqu’un s’est-il plaint ?

La loi sanctionne et punit le mal quand, et seulement quand elle est actionnée. Quant à la morale, Rolando ?
-Ben… pas tout à fait. Un vol est un vol. Et arrête de m’embrouiller. C’est de magret que je voulais t’entretenir ! Et d’amitié avant tout.
-Bien travaillé, bien cuisiné, bien dégusté à trois, où se situe le problème moral du magret, Rolando ?
-Drôle de manière de travailler, et de cuisiner mais, quand tu voles un copain…
- ...pas tout à fait, disait Américo, le voleur. Mais, quand tu manges avec nous les magrets et les camemberts soustraits à Pierrot, sous prétexte d’arranger son congélateur, ce n’est pas moral. Exact ? Nous devons agréer vos doléances, cher Monsieur, nous vous comprenons et pourtant, n'avons-nous pas apprécié, tous trois, ces deux magrets ?
Quant aux camemberts… divins ! Bien faits.

-Je ne sais pas, Gilou. Et si on l'avait invité, le Pierrot à bouffer avec nous notre larcin ? Horreur !...
-… sans lui dire d’où venaient les magrets et les calendos ?
-Effectivement, cela aurait été obscène.  Inconvenant, si tu préfères. Immoral aussi, oh oui !
-Non, rigolo. Imagine Pierrot se régaler, sans savoir qu’on le faisait receleur du vol de ses magrets. Ben, oui, receleur et voleur sont punis de la même peine par la loi. L’inviter : quel pied. Imagine, Américo, la tête du Pierrot quand on le lui aurait dit après le festin. On aurait rigolé comme des bossus… triple plaisir !

Sachez que, sous prétexte d’aider Pierrot à déplacer d’un étage un congélateur, ce vilain d’Américo a pensé, sans malice, à lui subtiliser deux magrets de canard et deux camemberts délectables à souhait. Gilou, complice, n’ayant rien dit, mais ri en participant de bon cœur à cette entourloupe, Rolando,  sur son quant à soi, n’appréciant pas trop la farce mais n’osant s'exprimer, nous avons, tous trois voleur, receleurs et complices, dégusté chez l’ami Américo le fruit de notre larcin. Sans vergogne. Un geste détestable ?…Oui, mais délectable !
Et, si le ventre n’a pas d’oreilles, sachez que tout ce qui fait ventre fait bombance. Même un larcin. Ah !

Parfois, je trouve Rolando bizarre. D’accord, on a piqué des magrets. Et alors ? On a volé ? Soit ! Enfin, plutôt détourné du congélateur de Pierrot vers la cuisine d’Américo. Fallait-il le lui dire, au Pierrot ? Il ne s’était rendu compte de rien. Il ne le savait pas. Où le voit-il le problème de morale, le Rolando puisque Pierrot n’était pas au courant ? 

Bien évidemment, subtiliser… oui, mais, non ! Ce n’est pas tout à fait  du vol. Bien sûr, on aurait dû le lui dire. Mais personne n’y a pensé. Oubli délectable et regrettable, mais pas de quoi en faire un fromage. C’est l’histoire du cocu. Qui ne le sait, qui ne l’est !
Et puis… Et puis…
-Pierrot ne s’est rendu compte de rien, alors, pas de quoi casser trois pattes à un canard, Rolando ! Déjà qu’on lui a pris ses deux magrets, à ce canard épaté !
Et dire qu’Américo s’est reproché de n’avoir pas subtilisé une ou deux bonnes bouteilles de Laudun à l’ami Pierrot pour faire glisser le magret et cela nous aura occasionné des frais, cet oubli malencontreux car on aurait pu faire payer le vin, plus le pain frais à Pierrot si on avait eu la délicatesse de l’inviter à nos agapes, et pour finir de déguster ces camemberts d’un délicieux et copieux repas bien français, d’où l’utilité de l’emprunt au camarade Pierrot. Nous sommes d’accord, Rolando ?

Il est vrai que les problèmes moraux n’ennuient que les personnes tracassées, celles qui confondent vergogne et audace, celles qui se trouvent malheureuses de voler son patron qui, lui, te vole comme un gros salopard.
-Moi, un patron qui me vole, je le vole.
-D’accord, Gilou. Mais, tu ne voles qu’une partie des bénéfices. Pas le capital. Parce que le patron, lui, sait faire fructifier l’entreprise. Faut pas tuer la poule aux œufs d’or, bébé ! Mais pour Pierrot…
-Quoi, pour Pierrot. Toi et ta morale, alors ! Nous sommes d’accord, Rolando. Mais, n’exagère pas. Ce ne sont que deux magrets et deux camemberts ! Pas de quoi fouetter un chat !
-D’un autre côté, pour Pierrot, on aurait pu lui demander, comme pour le patron, ce serait peut-être mieux d'aller voir le syndicat pour se faire augmenter que de le voler, le patron.
-Ouais, ouais. Comme ça il te volera un peu moins. Mais il te volera quand même ! Et pour Pierrot, c’était plus drôle de ne pas lui avoir demandé. Ca nous fait une belle histoire à nous. Rien qu’à nous !

-Oui, mais, Gilou, voler le Pierrot. Un ami. Cela ne se fait pas.
-Et pourquoi donc, cher ami ?
-Parce qu’on ne vole pas un ami, on ne le fait pas cocu.
-D’accord, Rolando ! Un copain qui a une belle femme, c’est sacré, Tudieu. Crénom de bon sang : faut qu’elle y passe !
-Non, mais dis donc Gilou, t’es vraiment salaud.
-Salaud, peut-être Rolando, mais honnête (1) ! Tu ne trouves pas ?

Donc, moralité, honnêteté, légalité, beauté et bonté, poignée, pelletée et cuillerée s’achoppent. Faudrait en rediscuter : la morale et la moralité m’ont toujours paru notions bien fragiles qui ne valent pas le goût du magret. Bon, tu me diras que si on avait crevé de faim, c’était différent…

...et puis, à mon âge, ma renommée ? Elle est déjà surfaite, alors, la moralité ? Rien à cirer !

Donc, nous disions que le magret de canard, pris au vol ou à la dérobée se doit d’être cuit dans une poêle très chaude après avoir pris soin de bien fendre profondément le gras du canard. Mais, surtout, conserver la graisse pour rissoler des pommes de terre… le régal de Pierrot, qu’on se le dise !

29 mai, an de Grâce 2013. Le Vigan, café des Cévennes.
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PS: ...et demandons quand même à Pierrot : est-il bien vrai que bien mal acquis ne profite jamais ? C'est à voir ! 
(1) Gilou est un franc malhonnête. Et puis, pour ce que ça sert, l'honnêteté !

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