samedi 15 juin 2013

Poésie*- 1


Vous ai-je présenté Annette ? Il me semble que oui… 

En ces années 80, j’étais éducateur à Dieppe et environs comme Bob, évêque de Nîmes-Alès-Uzes et environs qui ne sait pas que le Vigan est sous-préfecture du Gard, alors qu’Uzes ne l’est plus. N’aimerait-il pas les Viganais ?*
*Il est des choses qui se disent à l’instant, pour ne pas les oublier.

Or donc, travaillant comme un fou car Phonème avait pris l’habitude de m’égarer, dans mes quelques loisirs je préparais des expos photo et écrivais des poésies que je trouvais croquignolettes. Je me pensais doué, talentueux, frisant l’excellence. Mais, au hasard de la vie, Annette fut mon patatras.

Hormis la photo et la poésie, il y avait la Goutte d’Or un petit restaurant du quartier de l’Église St-Jacques où j’aimais m’y trouver soit client ou client-plongeur. J’y exposais aussi mes œuvres photographiques. Mais, oui ! Des œuvres ! 
Or, voilà qu’un soir une femme en capeline, coiffée d’un large chapeau improbable lui dissimulant le visage, se pointe dans le petit restaurant. Une apparition toute de noir vêtue comme en ces années 1910 de la Butte Montmartre. Elle était accompagnée.
Qui a servi l’apéro au couple de José, Christine ou moi ? Je ne m’en souviens plus. Bref, elle a apprécié mes photos, j’ai su qu’elle était journaliste…

Un soir que j’étais client, elle est revenue seule, s’est assise à ma table et nous avons partagé un moment agréable. Elle vivait le même type d’amours malheureuses que moi, dans une situation inextricable, désespérée… 
Ici, je ne m’adresse qu’à ceux qui ont connu ces noyades propices à l’écriture géniale, les autres, trop heureux, ne pourraient comprendre.
- Vous écrivez ? Oh, moi aussi… Non, plutôt des poésies. Souvent libres !
Nous écrivions tous deux mais, disons que je préférais exposer mes photos.
- J’ai écrit une longue poésie que je vous offrirai. Je ne l’aime plus, me dit la Dame en deuil d'amour.
Le samedi soir suivant, Annette revenait avec le texte dactylographié.

54 pages de splendeur. Dès les premières lignes, tu savais que c’était la plus belle poésie que tu pourrais lire dans ta vie. Je n’ai jamais été plus touché depuis par un écrit.
Que voulait-elle que je fasse de ce texte ?
- C’est le dernier exemplaire qui me reste. J’ai tout détruit. Celui-là, aussi, je le détruirai. 
- Annette, il n’en est pas question. C’est trop beau. Ce serait un crime…
- Je te le donne. Il est à toi. Tu en fais ce que tu veux. Il est à toi. Tu comprends ?
- Mais, il faudrait le publier. Les droits d’auteurs…
- Fais en ce que tu veux. Tiens, mets tes photos avec. Ce texte n’existe plus pour moi.
Annette m’a juste demandé de ne pas le publier avant quelques années. Son ex-copain serait trop content de savoir qu’il l’avait faite souffrir.

J’ai revu Annette une ou deux fois encore, dont une au Brazzaville, un café que j’aimais bien. J’avais pris soin de lire et de relire le texte qu’elle m’avait offert. Il était excellent, publiable rapidement. Seules les dernières pages et des longueurs nécessiteraient quelques retouches. Voulait-elle reprendre et remanier le texte ?
- Ce texte t’appartient, Gilles. Fais-en ce que tu veux !
- Mais, des photos ne feraient que le gâcher. C’est plus beau que le Cantique des Cantiques !
- Mais, non, c’est gentil, sans plus.

J’avais toujours ce texte sous la main. Et, j’en ai montré quelques extraits à certains amis. Les réactions furent diverses. Les hommes le trouvent sublime, m’en demandent souvent des extraits que je leur refuse, bien évidemment.
En ce qui concerne les femmes, je les sens choquées. Mal à l’aise. Elles trouvent cette poésie pornographique.
- Un arbre fendu. Comme frappé par la foudre ? Je ne vois pas où elle veut en venir. L’image, si on veut, enfin !
- Mais, Maryvonne, à ton avis, tu aimes ? 
- Eh bien, je la trouve nulle, cette image d'arbre fendu en long. 
Ma belle Maryvonne, tu es jalouse. S’attacher à un détail pour dénigrer 54 pages. Faut vraiment être jalouse, abrutie, ou con. Oui, foudroyée de pudibonderie, ma pauvre ! 

Horreur, moi qui ai toujours de mauvaises pensées et voulais l’inviter à une partie fine, la Maryvonne. Je l’imagine se glisser dans notre lit en burqa pour cacher le string excitant qu'elle porte… cache-sexe qu'elle ne voudra pas me montrer. 
Ô, s’il vous plaît, Maryvonne, cachez-moi cet arbre fendu en long que je ne saurais voir. Vilaine, va ! 

Quoique, Maryvonne a raison de désespérer de cette image d’arbre fendu. Et pourquoi pas un abricot. Parce que c’est un fruit. Que l’on cueille, et juteux en plein juillet ensoleillé ! Tiens. Il faudra que je pense à demander à Annette pourquoi elle n’a pas pensé à ramasser une moule pour l’astringence du sel et le goût d’iode. 
Voilà une image, qu’elle est fantastiquement suggestive !

En décembre 2011, après un très gros travail de secrétariat pour la Commission d’Action du Club Cévenol sur l’inscription des Causses et Cévennes au Patrimoine mondial de l’Unesco, écrit qui m’avait plus que fatigué, j’ai repris le texte d’Annette et cherché à la rencontrer pour le lui rendre. 

Par Internet, j’ai retrouvé une photo de classe de la petite Annette et commencé à contacter ses anciennes copines, la difficulté résidant dans le fait que souvent elles s’étaient mariées, les unes, les autres. Les coups de téléphone ont été nombreux : Paris, Dieppe, Le Havre, Le Bourg Dun, Fécamp, Troyes… pour finir par contacter sa sœur habitant Dallas qui me donne une adresse approximative dans un quartier de Paris. Non, elle ne savait pas exactement où, n’y étant jamais allée.

Annette est journaliste-poète. Je lui envoie une lettre sans mettre de numéro de téléphone pour me joindre. Je voulais qu’elle m’écrive… Pas de réponse. 
Deuxième lettre plus laconique du genre "Barrez la mention inutile", et même mauvais goût "Je veux vous rencontrer - Je ne veux pas vous voir - Merde", lettre accompagnée d’une enveloppe et d’un timbre.
Toujours pas de réponse : Annette boudait !

Février 2012, je me rends dans ce quartier de Paris, m’arrête dans un bistrot, demande ma route. On ne connaît pas la rue. Attendez, j’appelle mon beau frère qui est pompier professionnel. Il ne s’agissait pas d’une rue mais d’un grand immeuble.
Après avoir bien perdu mon temps à chercher sur toutes les boites aux lettres, je suis tombé sur Annette, 3ème étage. Immeuble de standing. Quartier bien français, super aisé. J’ai sonné.
- Monsieur PATRICE. C’est vous le monsieur grossier. Je vous ouvre. Montez.
Figurez-vous que je ne me rappelais plus ma deuxième lettre, limite insultante. Comme c’est ballot.

Le Vigan de mon Café des Cévennes. Le Samedi 15 juin de l’An de Grâce 2013.

NOTA BENE: les écrits et les enluminures de ce blog sont la propriété de Gilles Patrice et René Bouschet (R&B).
Quant aux lettres d’amour, utilisez-les à titre personnel pour faire plaisir à votre belle. Cela nous fera grand plaisir à Rolando, René et moi. Bisous !

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