samedi 1 juin 2013

C'est beau Paris ! -11


Composition sur dessin de fond de Tardi
Le Conrad est démobilisé. 

Par un après minuit d’août mil neuf cent cinquante cinq, alors qu’il sortait de la caserne Clignancourt, dans le dix huitième arrondissement, là où il avait été hospitalisé depuis son retour d’Indochine, une chaleur suffocante l’étouffa, pesant sur son corps déjà affaibli par plusieurs mois de détention hospitalière et hostile aux légionnaires, dont la mentalité inhospitalière était flagrante.
Au dessus de sa tête, de gros nuages chargés de pluie chaude qui ne voulait pas tomber sauf au goutte à goutte, s’agglutinaient comme des moutons apeurés, au dessus d’une agglomération absente de toute bergerie.

Conrad, Conrad LAUGIER, c’était son nom que lui avait donné la Légion et qu’il avait gardé, pour ne pas aller en prison après son matricide impromptu, se dirigeait vers le dix neuvième arrondissement, pour louer une chambre dans un hôtel qu’un camarade de chambrée lui avait conseillé.

Les rues de la capitale étaient désertes à cette époque de congés et en cette heure matinale. La grande majorité du peuple parisien était parti en vacances, abandonnant leur ville aux touristes assoiffés de curiosités.

L’ex légionnaire préférait marcher pour aller à l’hôtel, malgré ses trois jambes, la gauche forte en muscles, la droite tordue en os et une canne mince en bois tors. Cette idée de ballade était moins rapide, mais il avait le temps de redécouvrir sa ville natale.  Elle était encore plus charmante et plus belle que quand il l’avait quittée, pour ce conflit imbécile décidé par quelques crétins en manque de célébrité et imbus de pouvoir.

Après une dure et longue promenade à travers le nord de Paris, il arriva devant l’hôtel restaurant qui était non loin des Buttes Chaumont, dans la rue des Dunes (longueur cent vingt deux mètres, largeur douze mètres). Il entra dans cet établissement délabré qui lui rappelait étrangement la maison où habitait son amie Isabelle.
-Tiens, se dit-il, Isabelle! Et il rêva.

Derrière le bar, recouvert de zinc, il y avait, accoudé au comptoir, un sexagénaire asexué qui bavardait avec une femme débordant de sex appeal et tenant , négligemment dans sa main un sexe à pile. Ce tenancier était dans le même état que l’endroit qu’il gérait. Ses battoirs qui lui servaient de mains qui, comme une vieille paire de gants de travail, étaient imprégnés de souillure collante due à une consommation abusive de crème de cassis dont il était imbibé et qu’il renversait allègrement sur le sol devenu collant, lui aussi.
Les chaussures de Conrad y étaient accrochées, comme aspirées par un carrelage tyrannique de qui elles n’étaient pas amoureuses. Une serpillère usagée se reposait lamentablement sur une table qui avait dû probablement servir à la nettoyer. Et une odeur de vieux pipi qui devait provenir de ce vieux chiffon de sol envahissait les lieux.

Ce couple désassorti regardait, ébaubi, le jeune boiteux d’’indochine qui ne s’appelait pas Bobby et qui les regardait, lui aussi, ébahi par leur comportement singulier et qui, le soir, devenait incontestablement pluriel. Conrad voyait bien qu’ils n’étaient pas riches mais qu’ils avaient un signe extérieur de tendresse et qu’ils ne pouvaient pas faire autrement que de rester ensemble. A l'aune de ce couple improbable, étant donné son signe intérieur de tristesse et inférieur de richesse, il se sentait un pauvre type.
Il leur dit, dans un élan de sympathie d’une spontanéité réfléchie, oubliant la politesse journalière et matinale:
-Je m’appelle Conrad LAUGIER, je suis un ancien légionnaire libéré, revenu d’Indochine et voudrais vous louer une chambre pour quelques mois.

Le vieux pépère rabougri, qui s’appelait Gaston, lui fit un signe affirmatif de la tête, tout en lui tendant une fiche de police à remplir, souriant si fort qu’il en fit tomber son dentier jauni par des années de manque de brossage.

Conrad, après avoir rempli la petite fiche demanda s’il pouvait monter voir la chambre qui était au premier. Véronique, la jeune femme, le précéda dans l’escalier. Ses petites fesses en forme de cœur, serrées dans une jupe moulée, se balançaient de gauche à droite, et vice versa, provoquant un séisme intellectuel dans le moral du jeune homme, dont l’organe générateur s’élevait à chaque fois qu’elle levait une cuisse pour monter une marche (il n’avait pas fréquenté de femme depuis plusieurs mois).

Arrivé sur le palier, il vit les toilettes. Il y entra rapidement. Son cerveau s’ébranlait, Conrad aussi. Une minute quarante six plus tard, il s’extirpa des vataires closettes, rouge de honte.

La bombe sexuelle, qui l’était devenue un peu moins aux yeux de Laugier, l’attendait devant la porte de la chambre. Il s’approcha d'elle et vit une petite pièce sombre et meublée d’un petit lit, d'un autre lit dans le reflet de la glace, d’une petite chaise et de sa jumelle encore dans le même reflet… etc. Des rideaux blancs, noirs clair, foncés et froncés, accrochés à une petite fenêtre qui donnait dans une petite cour, laissant entrer par des petits trous un soleil timide qui faisait apparaître, sur les murs, un papier peint qui dépeignait les ébats amoureux de couples dépeignés et dépareillés. Puis il faillit se retourner en découvrant la jumelle de Véronique qui le dévisageait dans dernier un reflet.

Conrad se laissa tomber sur le lit, éprouvé par une matinée fatigante. La belle Véronique, en-jolie d’un sourire narquois, referma la porte, le laissant à ses pensées et redescendit rejoindre son vieux mari.

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